Lecture d'un chapitre
« Les Alentours de L'Autre Monde »
1 « Promenade Nocturne »
Publié par Quetzy, le dimanche 16 avril 2017

Kieran regarda par la fenêtre et soupira. Dehors, il faisait nuit, et la lumière de la lune conjuguée à celles des réverbères lui laissait entrevoir un paysage terrifiant.

Des citrouilles partout. Des toiles d'araignées pendues entre les piquets de la palissade qui entourait la maison. Des squelettes grandeur nature de chaque côté du portillon. Et des monstres. Loups-garous, vampires, sorcières, morts-vivants, tous déambulaient sur la pelouse de l'autre côté de la fenêtre, ou dans le salon, non loin de lui.

C'était terrifiant. C'était Halloween. Et Kieran détestait ce jour de l'année. Même si c'était celui de son anniversaire...

Il soupira encore une fois, avala une gorgée de sa boisson - non sans grimacer, l’alcool n’avait jamais été sa tasse de thé - et retourna s'asseoir sur un des canapés du salon. A sa gauche, une vampire embrassait la créature de Frankenstein. A sa droite, un gobelin contait fleurette à une infirmière sortie tout droit de Silent Hill. Sur l'autre divan, son ami Liam discourait à propos du dernier film qu'il avait vu à un auditoire composé de sorcières et de démones. Toutes semblaient captivées par son récit, à moins qu'elles ne fussent trop saoules pour en comprendre un traître mot.

N’ayant rien de mieux à faire, Kieran termina son verre d’une traite et se posa la question de ce qu’il allait faire maintenant : rester ou partir ? La réponse lui fut presque fournie sur un plateau : une louve-garou vint s'asseoir à ses pieds et lui susurra tout en le fixant dans les yeux :

− Ça te dirait de venir squatter ma tanière pour le reste de la nuit ?

Elle ponctua sa proposition par un grognement qui se voulait séduisant, mais qui horrifia le jeune homme. Il répondit négativement de la tête et se leva, la forçant à reculer au passage. Il glissa un rapide « je me tire » à Liam tout en se dirigeant vers la sortie. Que son ami le suive ou pas lui importa peu sur le moment. Venir à cette soirée était son idée, Kieran lui avait fait plaisir en cédant, mais son seuil de tolérance était atteint et il n’aspirait plus qu’à une chose : regagner son appartement.

Une fois dehors, Kieran chercha le meilleur chemin pour rentrer. Soit la route, avec ses étudiants grimés qui déambulaient dans un état d'ébriété plus ou moins avancée. Soit le parc, qui présentait le double avantage d’être un raccourci et totalement désert. Il opta bien sûr pour la seconde possibilité. Traversant la rue, il commença à se sentir mieux dès qu’il pénétra dans le parc. Là, tout n'était que silence et odeurs de sous-bois.

Il n’y avait qu’un seul inconvénient à cette promenade nocturne : le manque d’éclairage. La pleine lune dispensait une luminosité correcte, mais les chênes et taillis autour de lui créaient une ambiance oppressante. Cependant, il en fallait plus pour l'impressionner et c'est en sifflotant qu'il continua d'avancer.

Jusqu'à ce que le craquement d'une branche cassée retentisse derrière lui. Kieran se retourna d'un coup, persuadé de se retrouver face à Liam. Mais il se trompait, car il n'y avait personne. Juste le chemin, les fourrés et le bruit de sa respiration saccadée. Il scruta le vide encore quelques instants et, ne voyant rien, finit par accuser son imagination débordante.

Il reprit sa marche, silencieusement cette fois-ci. Ses yeux verts ne cessaient d'observer la végétation tout autour. Finalement, la route et ses monstres déguisés et éméchés n'étaient qu'un moindre mal. Cinq bonnes minutes passèrent ainsi sans qu'il ne produise rien.

Le craquement se fit entendre de nouveau, plus nettement encore, signe que la source du bruit s'était rapprochée. Il venait de sa droite, légèrement derrière lui. Kieran s'arrêta, inspira profondément, et se retourna.

Au début, il ne vit rien, en dehors des buissons rendus noirs par la nuit. Puis il discerna deux points jaunes brillants au milieu de la végétation. Des yeux, qui le fixaient. Un chien, probablement.

Kieran songea à s'approcher. Mais son instinct lui souffla de s'abstenir, et ce fut la meilleure idée qu’il eut de la soirée.

Les yeux appartenaient bien à un canidé, mais pas n'importe lequel. La bête s'avança dans les rayons de lune, pour s'arrêter à quelques mètres de lui.

Kieran écarquilla les yeux. Il n'avait jamais vu de loup de ce gabarit. L'animal faisait plus d'un mètre au garrot, pour deux de longueur. Son pelage était noir mais le plus impressionnant restait sa gueule. Ses babines étaient retroussées sur de longs crocs blancs, et sa langue écarlate rappelait la couleur du sang. Ils se fixèrent ainsi un long moment, prunelles jaunes contre yeux verts.

Soudain, le loup géant pointa son museau vers la pleine lune et poussa un long hurlement. Il n'en fallut pas plus au jeune homme pour détaler comme un lapin. Ses années passées à jouer au basket-ball lui avaient permis d'acquérir de l'endurance, une bonne pointe de vitesse et de la réactivité. Il entendit la bête aboyer de frustration avant de se lancer à sa poursuite.

Le galop de l'animal résonnait derrière lui, de plus en plus proche. Il fallait agir, et vite. Il avisa au loin un arbre doté de grosses branches pouvant supporter son poids. Au même moment, il entendit le grognement du loup dans son dos et l'instant d'après, ses mâchoires se refermèrent sur sa veste. Heureusement, Kieran ne l'avait pas fermée et il réussit à s'en libérer rapidement. Il changea ensuite de direction et poursuivit sa fuite vers l'arbre providentiel.

Une fois débarrassée du vêtement de sa proie, la bête reprit sa chasse. Mais le jeune homme passait son temps à esquiver, changeant sans cesse de direction, ce qui décupla la rage de l’animal.

L'arbre se rapprochait tandis que la fatigue de Kieran augmentait. Ses poumons brûlaient, ses jambes hurlaient au supplice mais il devait tenir encore. Accélérer, zigzaguer, respirer... Ne pas abandonner, se battre pour survivre...

Le gros chêne était proche et telle une main tendue vers lui, une énorme branche se dressait à deux mètres cinquante de haut. Bénissant ses talents de basketteur, il jeta ses dernières forces dans sa course et bondit aussi haut qu'il le put. Ses mains s'agrippèrent au bois et il hissa ses jambes hors de portée du loup. Sans perdre un instant, il grimpa encore plus haut pour mettre de la distance entre lui et son poursuivant. Alors enfin, il regarda en bas, tout en reprenant son souffle.

La bête le fixait de ses yeux jaunes. Elle grogna, tourna autour de l'arbre, aboya même de frustration. Kieran ne la quittait pas du regard. Etre accroupi dans un arbre n'était pas confortable mais il s'en accommoderait. Entre son bien-être et avoir la vie sauve, le choix était plus qu’évident.

Au bout de dix minutes, le loup aboya une dernière fois et s'éloigna enfin, pour disparaître dans les fourrés. Le jeune homme ne s'estima pas sauvé pour autant, mais il s'assit sur la branche pour reposer ses jambes fatiguées.

Ce fut sa seule erreur de la soirée. Enfin, la seconde, la première étant son choix du parc plutôt que la rue. L'attaque survint derrière lui. Un violent choc contre le tronc fit trembler l'arbre et Kieran se sentit partir en avant. La surprise fit qu'il ne réussit pas à s’accrocher et s'écrasa face contre terre, trois mètres plus bas. Sonné, il ne réagit pas tout de suite. Mais il hurla quand la patte du loup se posa sur son dos et que certaines de ses côtes se brisèrent sous la pression.

La douleur cessa brusquement, pour revenir quand les mâchoires du monstre se refermèrent sur sa cheville. Il essaya de s'agripper au sol mais le rapport de force était déséquilibré. Il se sentit décoller, pour retomber lourdement quelques mètres plus loin.

Le choc et la douleur l'assommèrent, et Kieran mit quelques instants à se reprendre. Il se retourna et fit face à la bête. Cette dernière avançait lentement vers lui, les canines dévoilées. Une bave sanguinolente dégoulinait de ses mâchoires, et un grondement sombre résonnait dans son poitrail. L'animal fut bientôt au-dessus de lui, sa gueule à quelques centimètres de son visage. Leur proximité était telle qu'il pouvait distinguer des filaments de chair accrochés aux molaires du monstre.

Le loup se recula alors, pointa son museau vers le ciel et hurla à la lune... avant de se jeter sur Kieran.

La dernière chose que le jeune homme vit fut des crocs d'un blanc parfait. Puis vint la douleur, et il hurla...

Kieran s'assit d'un coup dans le lit en criant... avant de réaliser qu'il n'y avait pas de loup noir géant aux yeux jaunes.

Son cœur battait à un rythme effréné, mais il était encore en vie. Le miroir de l'armoire face à lui renvoyait le reflet d'un homme couvert de sueur, les cheveux en bataille, les yeux exorbités.

Tout cela n'était qu'un horrible cauchemar. Il fallut quelques minutes à Kieran pour se convaincre de cette vérité. Soulagé, il soupira en retombant dans le lit.

Sauf que ce n'était pas SON lit. Dans sa chambre, il n'y avait pas d'armoire à miroir. Et en général, il portait un pyjama. Or, il réalisa en soulevant légèrement le drap qu'il était entièrement nu.

Quelque chose remua à côté de lui. Kieran ferma les yeux, redoutant de découvrir celle - voire celui- qui partageait ce lit. Le dernier souvenir net qu’il avait de la nuit précédente était le moment où il avait décidé de partir de cette fête. Tout le reste n’était que vide dans sa tête, ce qui le terrifia tout autant que son cauchemar. La migraine faisant son entrée, il pouvait qualifier cette soirée de "pire cuite de sa vie".

Il ne voulait pas en savoir plus. Passer pour un goujat ne l'enchantait pas. Mais il n'était absolument pas en état d'expliquer à sa partenaire d'un soir qu'il n'avait pas l'intention de la revoir, et que cette nuit n'était qu'une grosse erreur de sa part. En s'habillant, il remarqua un morceau de fourrure qui traînait sur le sol. Il l'examina et finit par reconnaître le costume de la louve-garou qui avait grogné pour le séduire. Au final, il avait accepté sa proposition...

Kieran hésita à lui laisser un mot. Mais sa migraine augmentant, il s'éclipsa pour se mettre en quête de café et aspirine. Chacun en dose illimitée évidemment.

Il songea aussi à Liam, et se promit de lui faire payer très cher la bonne idée qu’il avait eue de le traîner à cette soirée. Il se jura aussi de ne plus jamais boire d’alcool, tout du moins sans l’avoir contrôlé au préalable. Car même si cette nuit d’ivresse était à oublier et à ne surtout pas réitérer, il n’était pas prêt à tirer un trait sur les soirées avec ses deux amis.

La perspective d’agrémenter le prochain cocktail de Liam d’un laxatif émergea dans son cerveau embrumé, et c’est avec un début de sourire qu’il prit le chemin de son appartement... par la route, cette fois-ci.

  
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