Lecture d'un chapitre
4 « La petite fille aux allumettes & Le petit chaperon rouge »
6 « Le petit chipiron rouge »
Publié par Chimere, le dimanche 14 janvier 2018

La proie

Le RedBolt était l’un des courriers les plus rapides du Royaume Stellaire de Lewis. Sa tournée mensuelle lui faisait traverser la ligne de front des systèmes solaires contestés et revenir vers la planète capitale afin d’acheminer messages personnels et ordres officiels. S’il avait plusieurs fois été pris en chasse, son agilité, ses puissants senseurs et ses moteurs démesurés l’avaient toujours aisément tirés d’affaire. Sa structure fuselée, ses ailerons avant ainsi que les bosses de ces moteurs gravifiques arrière lui avaient valu le surnom affectueux de Chipiron auprès de ces quatorze membres d’équipage, fier de leur bâtiment.

Sa mission du jour l’amenait dans le système Zeta234. Une petite étoile bleue y brillait, entourée de quatre planètes à l’orbite bien trop éloignée pour abriter la moindre forme de vie. Entre l’astre et la première des planètes, tournait lentement une station d’observation, propriété du royaume stellaire ; l’une des clés de voûte de son réseau d’écoute et d’espionnage.

Depuis le grand éparpillement de l’humanité au XXIe siècle, chaque nation avait appris à maîtriser des pans de technologie très variés. Si les vaisseaux originaires des chantiers de l’étoile de Lewis étaient loin d’être aussi puissants que ceux de ses bouillonnants voisins, leurs capacités de surveillance et d’espionnage étaient sans commune mesure.

— Tous les systèmes sont opérationnels, capitaine, constata le lieutenant Clarke. Nous captons la balise de la station. Arrivée prévue dans cent trente-six minutes. Pas d’autres signaux à portée.

— Parfait. Prévenez-moi dès que nous aurons le contact radio. Je ne tiens pas à ce que nous nous attardions ici.

— Bien madame.

Le petit courrier s’enfonça dans le système, gagnant rapidement en vélocité grâce à ses moteurs surpuissants.

Le loup

— Le voilà, Monsieur.

Le croiseur « Steve Rogers » se dissimulait depuis six jours, moteur éteint, aussi indétectable que possible. La prime pour les informations transportées par le Redbolt était substantielle et compenserait largement les désagréments d’une telle attente. Cent cinquante-trois hommes et femmes, aussi peu recommandables les uns comme les autres, enfermés sans rien faire pendant presque une semaine dans un tube de métal qui avait connu des jours meilleurs. Le capitaine Alvarez avait bien cru qu’il devrait en exécuter un ou deux, pour l’exemple, si leur proie ne se montrait pas rapidement.

Mais la chance leur souriait enfin et la chasse allait pouvoir commencer.

— Rappelez-vous de notre plan. Aucune émission active tant que nous ne sommes pas à portée de feu. Laissez-le venir à nous. Tout l’équipage au poste de combat.

— Bien capitaine.

La sirène raisonna dans les coursives du Rogers faisant grincer les dents des officiers. Évidemment, personne ne risquait de l’entendre à l’extérieur de la coque de métal, mais la furtivité du prédateur était une habitude bien enracinée.

Pendant de longues minutes, le capitaine Alvarez observa l’écho radar du petit courrier se rapprocher. Il n’aurait qu’une seule chance de capturer sa proie et affronterait probablement une mutinerie si le Chipiron venait à lui échapper. Mais son plan était solide, basé sur sa connaissance des tactiques du Chipiron et les renseignements qu’il avait pu glaner. Comme le précédent système qu’il avait visité par exemple. Il avait ainsi pu prévoir la zone de sortie d’hyperpropulsion du petit vaisseau et pouvait à présent l’attendre, plutôt que de se lancer dans une poursuite perdue d’avance.

Lentement, la distance entre eux fondait. Sur l’écran, autour du Rogers une bulle représentait la portée efficace de ces armes. Une ligne pointillée rouge figurait la trajectoire de leur proie. Elle coupait la zone de feu sur un bon tiers de son volume, ce qui serait largement suffisant.

— Nous sommes à moins de dix millions de kilomètre de la cible, capitaine.

— Je vois. Laissez-les venir encore un peu plus près.

Alvarez regarda s’égrener les dernières secondes et un sourire de prédateur illumina son visage lorsque la distance tomba sous les cinq millions de kilomètres.

— Maintenant.

Les moteurs du Rogers rugirent en s’éveillant. Les batteries grasers s’activèrent et s’orientèrent vers leur cible. À cette distance, il ne fallait que trente secondes aux LIDAR de guidages pour accrocher le petit vaisseau. À ce moment-là, la vélocité du Redbolt jouait contre lui. Emporté par son inertie, il ne pouvait modifier sa route efficacement. Il était de toute façon bien trop tard pour éviter le piège dans lequel il se jetait tête baissée.

— Cible verrouillée.

— Feu !

La mise à mort

À moins de trois millions de kilomètres, il ne fallut qu’une poignée de seconde à la décharge énergétique pour atteindre son objectif. Alvarez ne souhaitait pas détruire le Chipiron, mais l’immobiliser. Les rayons mortels frappèrent la partie arrière où se trouvait le moteur. Sans le blindage d’un vaisseau de guerre, la coque fut transpercée instantanément. Les trois ingénieurs qui occupaient le compartiment furent immédiatement vaporisés et le cœur du réacteur s’éjecta automatiquement pour éviter que son explosion n’emporte le courrier.

En un éclair, le fier Chipiron s’était retrouvé amputé d’un tiers de sa longueur et filait maintenant sur sa lancée, sans aucun moyen de freiner sa course. La force de l’impact lui avait donné un roulis qu’il ne pouvait pas compenser et qui lui faisait exécuter un tour sur lui-même par minute.

Sur la passerelle, le capitaine Elwood observait, les lèvres serrées de rage impuissante, les rapports de dégâts qu’avait subis son bâtiment. Ceux qui avaient perdu la vie un instant plus tôt étaient ses amis et elle devait faire appel à toute sa discipline pour se concentrer. Sauver le reste de son équipage était maintenant sa mission primordiale.

— Lancer une demande à l’aide sur toutes les fréquences. Calculez notre nouvelle trajectoire.

— Appel enregistré et diffusé, madame, lâcha le responsable de communication après quelques secondes.

— L’impact nous a fait dériver de notre route initiale. Nous allons passer à plus de trente millions de kilomètres de la station puis sortir du système.

— Avons-nous la moindre de chance de ralentir par nous-même ?

— Pas sans moteur. Nous avons perdu le propulseur principal et les verniers.

— Préparez-vous à abandonner le navire, lâcha le capitaine, la mort dans l’âme. Lancer la procédure d’effacement des données.

— Ils nous contactent, Madame, fit soudain Clarke.

Sur un ordre silencieux du capitaine, l’officier bascula l’appel sur l’écran principal. La distance entre les deux vaisseaux était encore suffisamment réduite pour que l’échange se fasse quasi en direct. Le Rogers s’était lancé à leur poursuite sitôt son coup au but confirmé. Il lui faudrait du temps, mais il finirait par rattraper le Redbolt privé de toute accélération.

— Redbolt, ici le capitaine Alvarez. À l’heure actuelle, vous devez songer à effacer vos précieuses plaques de données avant de vous éjecter. Vous savez aussi que rien ne peut plus empêcher que je vous aborde. Vous imaginez que je serais extrêmement déçu si je devais trouver des ordinateurs hors d’usage. Assez déçu pour revenir sur mes pas et tirer sur une navette, par exemple.

— Fumier, lâcha Elwood, se moquant d’être entendu.

— Voilà ce que je vous propose. Envoyez-nous vos données et n’ouvrirait pas le feu sur vous. Mieux, je vous mettrais sur une orbite un peu moins hasardeuse qui permettra aux équipes de secours de la station d’intervenir et d’empêcher votre précieux Chipiron de se perdre. Vous avez ma parole.

— Vous avez tiré sur un vaisseau désarmé, capitaine. Votre parole ne vaut pas tripette, de mon point de vue.

— Possible, mais ma proposition est probablement la meilleure que vous aurez dans les minutes à venir, capitaine Elwood. Soyez raisonnable et pensez à la vie de votre équipage. Vous avez une heure pour vous décider.

La transmission fut coupée et un long silence la ponctua sur la passerelle du Chipiron.

Les chasseurs

L’appel de détresse envoyé par le Chipiron ne passa pas inaperçu. Personne ne pouvait les aider sur la station d’écoute, mais ça n’était pas le cas du Benjamin Sisko. Le porte-aéronef croisait, par chance, un peu à l’extérieur du système. Il appartenait aux forces armées de la République démocratique de New Dublin, petite nation indépendante sans prétention territoriale, mais capable de repousser les assauts de voisins va-t’en guerre grâce à une technologie de pointe et du personnel parfaitement formé.

Et les renseignements apportés par les espions de Lewis leur étaient particulièrement précieux.

L’énorme vaisseau de guerre sortit de l’hyperespace aussi près de l’affrontement qu’il le pouvait et dans la trajectoire du courrier en détresse. L’affichage holographique se mit à jour en quelques secondes, mettant en évidence les quatre cents millions de kilomètres qui les séparaient.

— S’ils veulent faire un carton, marmonna le premier officier, nous ne pourrons pas les en empêcher.

— Non, mais nous pourrons le leur faire payer cher.

L’amiral Perreault était bien conscient de la situation, mais ne pouvait pas changer les lois de la physique. Toute la coque du Sisko tremblait sous la poussée de ses moteurs. Le gigantesque bâtiment n’était pas taillé pour la vitesse et lui faudrait du temps pour parcourir l’énorme distance. Mais il avait d’autres atouts.

— Faites décoller la chasse.

Les six petits chasseurs se tenaient prêts depuis que le Sisko avait quitté l’hyperespace. À peine l’ordre donné, ils s’élancèrent vers leur proie de toute la puissance de leur réacteur survitaminé. Simple cylindre de métal de sept mètres de long pour un et demi de diamètre, ils étaient essentiellement constitués d’un moteur et d’armes, bâtis autour d’un habitacle inconfortable. Cibles faciles pour les batteries automatisées des croiseurs, ils devaient lâcher leurs missiles bien avant d’entrer à portée efficace de leur adversaire. C’était ensuite une question de mathématique et de probabilité. À raison de quatre projectiles par attaquant, cela en faisait vingt-quatre à dévier dans les vingt secondes que durait leur vol. Si un destroyer de la taille du Sisko pouvait espérer y arriver, un bâtiment plus petit comme le Rogers n’avait quasiment aucune chance d’y parvenir.

— S’il ne rompt pas l’engagement rapidement, constata l’amiral en observant les trajectoires sur son écran holographique, il n’en réchappera pas.

Le loup devenu proie

Alvarez contemplait lui aussi son écran et maudissait la malchance, le karma ou n’importe quelle divinité vivante ou morte qui avait mis sur sa route un tel adversaire. Un instant plus tôt, il tenait le RedBolt entre ses mains et comptait déjà sa récompense. À présent, il ne lui restait que quelques minutes pour tourner les talons et sauver son vaisseau.

— Combien de données avons-nous reçues ?

— Environ la moitié monsieur. Il faudra sept minutes pour avoir le tout.

Cela ne lui laissait pas la moindre marge...

— Avertissez ce courrier que s’il interrompt sa transmission, nous le couperons en deux. Préparez-vous pour une manœuvre d’évasion à grande vitesse.

Il est rare qu’un vaisseau de ce gabarit change drastiquement de direction. Généralement, il définit des trajectoires plus économiques en carburant et moins stressantes pour sa structure. Mais dans des cas extrêmes, les moteurs vernier permettent des manœuvres brutales comme un retournement à pleine vitesse. Sur ordre du capitaine, le Rogers coupa ses moteurs et se lança dans une bascule parfaitement exécutée. Une fois terminé, le propulseur principal se remit en marche à pleine puissance pour contrer sa vélocité initiale et repartir dans la direction opposée. Malgré les amortisseurs inertiels, la structure trembla et quelques blessures mineures, dues à des maladresses ou de chutes d’objets furent signalée.

Le pirate retrouvait enfin une vitesse positive lorsque la transmission se termina. Le courrier s’était considérablement éloigné sur sa lancée et le porte-aéronef l’intercepterait d’ici quelques minutes grâce à ses grappins magnétiques.

Seuls les chasseurs représentaient encore un danger, mais ils ne semblaient pas pressés de venir à portée de ces armes. Alvarez commençait à se détendre lorsque les missiles furent lancés à sa poursuite.

Epilogue

Le capitaine Elwood quitta, bonne dernière, son vaisseau, comme le voulait la tradition. Le Chipiron avait été déposé sur un arceau dans l’immense cale du Sisko. Il y resterait jusqu’à un retour à une base spatiale qui pourrait prendre en charge ses réparations. Elle fut guidée vers le bureau de l’amiral où elle fut accueillie par une poignée de main et du café chaud.

— Au nom de mon équipage, je tiens à vous remercier, monsieur. Sans vous…

— Détruire un pirate est toujours un plaisir, capitaine, ne vous en faites pas.

Elle s’installa lourdement dans un fauteuil en repoussant une mèche de cheveux auburn. Elle constata avec fierté que, malgré le stress et la fatigue, sa main ne tremblait pas.

— Y a -t-il eut des survivants ?

— Non. S’ils avaient été un peu moins gourmands, ils auraient sans doute échappé à nos missiles. Ils n’avaient pas regagné assez de vélocité, mais cela s’est joué de peu. Seuls deux projectiles ont atteint leur cible.

— Je vois. Je doute qu’il y ait grand monde pour les pleurer.

— Probablement. Ce qu’ils voulaient devait valoir particulièrement cher.

— Vous n’imaginez même pas, amiral. Nous transportons le menu et les recettes pour la cérémonie d’anniversaire de la reine mère. Vous connaissez le secret qui entoure ces préparatifs. Avec de telles informations, ils auraient pu faire chanter la couronne ou, plus simplement, les vendre à un journaliste peu scrupuleux. Dans tous les cas, ça vaut des millions.

— Je vois, conclut l’amiral en secouant la tête. Je suppose que c’est ce que l’on appelle avoir les yeux plus gros que le ventre.

  
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