Les trottoirs de la ville étaient couverts d'une fine pellicule de givre rendant dangereuses toutes sorties. Les passants avançaient avec la plus grande prudence, à petits pas. Les épaisses redingotes, les lourds châles et les chapeaux enfoncés sur les têtes suffisaient à peine à braver le froid mordant. Aucun fiacre ne circulait car les chevaux restaient à l'écurie.
Cet hiver était l'un des plus rudes depuis une dizaine d'années.
À l'écart de la ville se trouvait une petite maison en bois d'où s'échappait un filet de fumée par les nombreux trous qui parsemaient le toit. La porte branlante laissait entrer le vent comme un invité indésirable. À l'intérieur de la maisonnette brûlait à grand-peine un feu pour réchauffer deux corps tremblants, blottis l'un contre l'autre.
— Maman, l'hiver sera-t-il encore long ? demanda une petite fille à la voix fluette et tremblotante.
Elle leva son visage pâle vers sa mère et la regarda de ses yeux bleus cernés de noir.
— Je ne sais pas, ma chérie. Mais il faut être courageuse, tout à une fin, lui répondit-elle en resserrant son étreinte autour de son enfant.
La faim amplifiait la sensation de froid. Bientôt, il lui faudra partir vendre du bois. Après un dernier baiser à sa fille, la mère leva son corps amaigri recouvert de plusieurs couches de tissu. Elle arrangea son capuchon et, avec une grimace de douleur, plaça son fardeau de bûchettes sur son dos.
— Anaëlle, ma fée, je reviens avant le coucher du soleil. Ne laisse pas mourir le feu.
La petite fille acquiesça, les lèvres tremblantes. Elle détestait voir sa mère partir. Habituellement, quand les températures étaient plus clémentes, elle l'accompagnait. Elle s'amusait à tournoyer autour d'elle, les bras en avion, en chantant, tandis qu'elles marchaient vers la ville. Sa mère lui disait alors qu'elle ressemblait à une fée. Être ensemble était sa seule source de bonheur. Alors, quand elle la voyait s'éloigner, le dos courbé par la charge et la fatigue, Anaëlle ne pouvait s'empêcher de pleurer. La peur la tenaillait jusqu'à son retour.
Pour se consoler, elle jouait avec la poupée de chiffon qu'elles avaient confectionnée toutes les deux lorsqu'elle avait trois ans. Depuis, elle ne la quittait jamais, elle la considérait comme son amie.
Quand elle eut perdu de vue sa mère, Anaëlle retourna près du feu pour rajouter quelques branches. Comme tous les jours, elle trouva le temps long, très long. Trop long. Régulièrement, elle passait la tête à travers la fenêtre pour suivre la course du soleil blafard. Sa maman revenait toujours avant que le dernier rayon disparaisse derrière la montagne.
Mais ce jour-là, la clarté déclina jusqu'à laisser place à l'obscurité. Le ventre d'Anaëlle se tordit d'angoisse. La première étoile apparut dans le ciel et une larme roula sur la joue de l'enfant.
Serrant fortement sa poupée, elle attendit sa mère toute la nuit. Par moment, le sommeil s'emparait d’elle, ponctué de réveils en sursaut aux moindres bruits. Mais ce n'était que le vent faisant craquer les branches presque mortes. Des cauchemars s'invitaient, fugaces, mais terribles. Des fantômes qui la tourmentaient, un loup qui se léchait les babines à l'idée de savourer une enfant abandonnée.
Aux premières lueurs du jour, Anaëlle, la faim et la peur au ventre, s'arma de tout son courage du haut de ses six ans et se rendit en ville.
Elle marchait prudemment sur les pavés verglacés, tournant la tête à droite, à gauche, appelant sa mère, des sanglots dans la voix.
Les passants lui jetaient des regards curieux ou dédaigneux sans lui apporter de l'aide.
La peur croissait et envahissait tout son cœur.
Au détour d'une rue, elle vit une forme recroquevillée à terre, un tas de bois posé à côté. Anaëlle reconnut immédiatement la robe de sa mère. Elle se mit alors à courir, manquant de tomber à chaque foulée et s'agenouilla.
— Maman, maman, gémit-elle en la secouant.
Aucune réponse. D'une main tremblante, elle tira sur le tissu raidi par le froid pour lui découvrir le visage. Sa mère avait l'air de dormir paisiblement. Ses lèvres bleues s'étiraient en un léger sourire. Anaëlle caressa doucement la joue et fut surprise par sa rigidité.
Alors elle comprit. Elle serait seule à présent, elle n’aurait plus personne à attendre près du feu. Elle comprit que le rire de sa mère, ses berceuses et sa voix douce n'enchanteront plus son cœur. Ses caresses, ses étreintes ne réchaufferont plus son corps. Elle ne sentirait plus la soupe et le pain chaud préparés avec amour après une dure journée de labeur. Ses larmes coulèrent en silence emportant dans leur sillage sa douleur.
Après un dernier baiser sur le front glacé de sa maman, Anaëlle se releva péniblement, les jambes engourdies par le froid. Elle souleva le lourd paquet de bûches pour le charger sur son dos.
Presque pliée en deux, elle hélait les passants comme faisait sa mère.
— Du bois pour vous réchauffer ! Du bois pour égayer votre cheminée ! Un sous les cinq bûchettes !
Plus la journée avançait, plus elle pouvait se tenir droite à mesure que son panier se vidait. Le poids des sous dans sa poche soulagea légèrement sa peine. Elle pourra manger à sa faim ce soir.
Une fois qu'il ne lui resta que deux bûchettes, elle décida de les garder pour elle. Le soleil commençait à décliner, elle se hâta de se rendre chez le boulanger et l'épicier pour acheter une demi-miche de pain et deux pommes de terre.
Enfin, elle prit le chemin du retour. À mesure qu'elle approchait de la maison, sa tristesse amplifiait. La perspective de rester encore seule cette nuit l'effrayait. Sa maman lui manquait terriblement.
Anaëlle ouvrit la porte de chez elle. Le feu n'était plus qu'un tas de cendre. À cette vue, les paroles de sa mère lui revinrent en mémoire. "Ne laisse pas mourir le feu". De nouveau, les pleurs affluèrent sans qu'elle n'y puisse rien. Ses épaules s’affaissèrent de désespoir. Elle ne savait pas allumer un feu ni faire à manger.
Ses larmes se tarir peu à peu, le corps encore secoué de sanglots, elle respira un grand coup. Elle devait se montrer grande si elle voulait s'en sortir. Anaëlle ferma les yeux et fouilla dans ses souvenirs. Elle revit chacun des gestes de sa mère qu'elle s'efforça de reproduire.
Anaëlle mit les bûchettes qu'elle avait gardées, elle gratta une allumette, mais dû s'y reprendre plusieurs fois avant de la voir s'embraser. Avec satisfaction, elle la posa doucement sur le bois et attendit que le feu prenne. Puis elle emporta l’une après l'autre deux grosses bûches du tas qui se trouvait au fond de l'unique pièce pour les poser délicatement sur le foyer.
La température s'éleva progressivement. Anaëlle ne détachait pas son regard des flammes. Le spectacle de leur danse la fascinait toujours. Ce fut son ventre et ses grognements incessants qui la ramenèrent à la réalité. Alors, elle imita de nouveau les gestes de sa mère. Normalement, elle aurait dû se rendre à la source et, armée d'un pieu, casser l'épaisse couche de glace pour récupérer l'eau prisonnière en dessous. Mais Anaëlle était trop fatiguée et trop petite pour manier l'outil. Alors, elle se contenta de ramasser de la neige au pas de la porte pour remplir sa casserole. Elle posa le récipient sur le feu et dès que l'eau se mit à bouillir, elle plongea ses pommes de terre.
Pour passer le temps et éviter que ses pensées s'envolent vers l'image de sa mère, elle prit sa poupée et alla vérifier le stock de bûchettes pour le lendemain. Il se trouvait derrière la maison recouvert d'une épaisse couverture. Avec soulagement, elle constata qu'elle en aurait assez pour deux ou trois jours, du moins l'espérait-elle. Elle avait du mal à vraiment évaluer les quantités.
Des flocons entamèrent un ballet aérien, Anaëlle leva la tête et tira la langue pour en attraper. Elle tournoya sur elle-même et son éclat de rire perça le silence.
— Maman ! Regarde !
Elle s'arrêta brusquement, pendant un instant elle avait oublié la tragique disparition de sa mère. Le petit filet de joie s'envola et d'un pas lourd Anaëlle rentra. Elle s'assit auprès du feu et, serrant toujours sa poupée, elle plongea sa fourchette au cœur d'une pomme de terre. La cuisson avait l'air bonne. Elle se releva pour dresser la table. En ouvrant les portes du petit placard, elle hésita à prendre une ou deux assiettes.
— Est-ce que tu veux manger avec moi, Poupinette ?
Anaëlle sortit deux couverts et installa sa poupée en face de l'un d’eux. Elle servit les pommes de terre accompagnées d'un petit bout de pain. Le repas était simple, mais il calma sa faim. Après avoir emballé soigneusement les restes, l'enfant raviva le feu, retapa son lit de paille et se coucha avec Poupinette. Le sommeil la happa rapidement, sans rêve ni cauchemar, l'épuisement et les émotions de la journée eurent raison d'elle.
Des rafales secouèrent la porte de la maison. Les claquements et craquements réveillèrent Anaëlle en sursaut. Elle se frotta les yeux et se redressa sur son lit.
— Maman, Maman ! appela-t-elle, apeurée.
Un silence assourdissant lui répondit. Une nouvelle salve de larmes inonda sa robe.
— Maman, je veux ma maman. Ma petite maman, pourquoi tu m'as laissée toute seule ? Maman !
Les sanglots se transformèrent en cri de colère, de profonde tristesse. Le vent sembla lui faire écho en soufflant plus fort. Si fort qu'il éteignit le feu d'une bourrasque. Soudain, un rayon de soleil caressa le visage d'Anaëlle, sa chaleur l'apaisa et le calme revint dans le ciel et dans son cœur. Elle sécha ses joues et se décida à se lever. Son ventre gargouilla et un bout de pain avec un peu d'eau le fit taire. Elle attrapa son panier et sortit le remplir de bûchettes.
Arrivée près du lieu où elle avait trouvé le corps de sa mère la veille, Anaëlle sentit son cœur battre plus vite. Elle n'osa pas voir si elle était toujours là, allongée, recouverte probablement d'une épaisse couche de neige. La fillette pressa le pas, la tête basse, le souffle court, les poings crispés sur les bretelles de son panier.
Elle se relâcha trois rues plus loin. Sans plus tarder, elle se mit au travail. La matinée fut fructueuse et son chargement s'était bien allégé. Anaëlle s'accorda une pause et s'offrit le luxe d'une brioche qu'elle savoura par petites bouchées. Assise sur son banc, légèrement réchauffée par le soleil de midi, elle observait les passants, s'imaginait leur destination. Cette jeune femme, bien apprêtée qui rejoignait son fiancé, le sourire aux lèvres. Cet homme, l'air affairé, avait un rendez-vous très important pour gagner beaucoup d'argent. Cet autre, derrière lui, les épaules voûtées, l'habit d'ouvrier, retournait chez lui se reposer après une dure nuit de labeur. Le cœur d'Anaëlle se serra quand elle vit une petite fille tenant la main de sa mère et sautillant de bonheur. Elle se retint tant bien que mal de pleurer et se leva pour reprendre sa vente et penser à autre chose.
Le reste des bûchettes partit très vite. Ainsi, elle put rentrer tôt. Le froid était toujours aussi vif et elle se dépêcha de refaire du feu. Pour se réchauffer, elle fit un peu de ménage à l'aide du balai en paille. La tâche fut brève au vu de la petitesse de la pièce. Ensuite, Anaëlle joua un peu avec sa poupée et rechargea son panier pour le lendemain. Rapidement, elle ne sut plus quoi faire pour passer le temps. Les températures étaient trop basses pour se promener dans la forêt et de toute façon elle avait bien trop peur de s'y rendre seule. Alors, elle s'allongea sur le lit, blottie dans ses couvertures, et se laissa submerger par les souvenirs.
Sa mère apparut dans un bain de lumière, un sourire éclairant son visage. Elle lui tendait les bras. Anaëlle courut s'y réfugier. Elle s'enivra de sa douceur, de son parfum. La voix de sa maman la berça de cette chanson qu'elle lui fredonnait tous les soirs avant de dormir. Elle était si bien au creux de son cœur, elle colla son oreille contre sa poitrine pour l'entendre battre. Puis Anaëlle se souvint de ces jours d'été quand elles allaient se baigner à la rivière, des éclats de rire emplissaient l'espace. Elle se remémora la senteur des bouquets de fleurs qu'elles confectionnaient. Cela sentait si bon l'été, la chaleur. Mais il y avait eu aussi les moments difficiles, les jours où la table du repas restait désespérément vide, où elles revenaient de la ville le panier aussi plein que le matin. Pourtant sa mère gardait le sourire, toujours. Elle savait trouver les paroles de réconfort pour rassurer sa chère enfant. Elle gardait toujours espoir parce que tout a une fin, le pire comme le meilleur. Tout a une fin, il faut saisir chaque instant de bonheur et laisser passer l'orage les jours sombres, s'enivrer de la beauté qui nous entoure et s'accrocher à elle durant les épreuves.
Le sommeil vint prendre doucement Anaëlle, peuplant ses rêves de fleurs, d'arbres verdoyants, de papillons, de ciel bleu rempli de nuage aux formes étranges.
Le lendemain, son ventre grondait si fort qu'il lui faisait mal. Elle s'était endormie sans dîner. Elle mangea avec appétit le reste de pommes de terre et de pain. Un peu rassasiée, elle se prépara pour partir en ville, sa poupée soigneusement rangée au fond de sa poche. En remplissant son panier, elle s'aperçut que c'était les dernières bûchettes. Comment allait-elle faire pour en vendre d’autres ? Elle était bien trop petite pour casser le bois. Avec son insouciance enfantine, elle se dit qu'elle trouverait un moyen.
En chemin, une idée lui vint, toute simple. Elle doubla le prix des bûchettes. Cela fonctionna bien car en fin d'après-midi son chargement était vide. À l'épicerie, Anaëlle acheta des provisions. Pommes de terre, navets et même une carotte. L'épicier lui offrit un petit morceau de lard.
— C'est bientôt Noël, ma petite, lui avait-il dit en souriant.
Le boulanger fut aussi généreux et elle eut droit à deux miches de pain.
En rentrant, elle essaya de faire une soupe. Cela ressembla plus à de la purée, mais quel plaisir de manger enfin à sa faim. Elle trempa avec gourmandise son pain dans le plat. Repue, elle décida de décorer la maison pour la venue du père Noël. Elle espérait recevoir une orange. Elle rêvait d'en goûter. Une de ses amies lui avait dit que ça avait le goût du soleil.
Dehors, le vent s'était levé, des tourbillons de neige envahissaient le ciel. Il valait mieux remettre la décoration au jour suivant. Anaëlle raconta les contes de Noël de sa maman à Poupinette. La clarté diminua, les bâillements de la petite fille furent de plus en plus nombreux. Elle se coucha et s'endormit vite.
Le soleil était déjà haut dans le ciel quand Anaëlle ouvrit les yeux. Elle déjeuna de sa purée de légumes de la veille et sortit pour ramasser des pommes de pin et des branches de sapin pour décorer la maison. Il faisait beau, la neige était épaisse sous ses pas, mais le temps s'était légèrement radouci.
Il y avait des sapins près de la maison, Anaëlle n'avait donc pas besoin de marcher très loin. Elle fredonna une chanson de Noël. Son âme d'enfant se réveilla et gaiement elle se mit à jouer. Tout en se promenant, elle s'amusa à faire secouer les branches pour en faire tomber la neige. Elle fit un petit bonhomme, puis un deuxième. Elle courut pour entendre ses pas crisser sur le tapis blanc. En cet instant, elle oublia qu'elle était seule, que sa maman était partie pour toujours, qu'elle n'avait plus de bûches à vendre, qu'elle n'aurait plus de quoi manger. En cet instant, elle ne s'aperçut pas non plus qu'elle s'éloignait de sa maison. En cet instant, elle n'était qu'une petite fille qui jouait dans la neige et qui rêvait que le père Noël lui apporte un bout de soleil à croquer.
La luminosité autour d'Anaëlle changea, l'atmosphère devint brumeuse. Le brouillard se leva doucement, les flocons tombèrent, d'abord épars, puis de plus en plus nombreux, de plus en plus gros. Anaëlle voulut faire demi-tour. Elle scruta les alentours pour se repérer, mais la brume s'était épaissie. Elle avait du mal à distinguer les arbres à quelques mètres devant. Une angoisse sourde monta, s'amplifia. Son corps se mit à trembler. Un étau enserra sa poitrine d'où son cœur voulait s'échapper en battant plus fort. Elle sortit Poupinette de sa poche et l'étreignit. Elle marcha tout droit, puis se mit à courir. À gauche, à droite. Elle se cognait aux arbres, aveuglée par la neige et ses larmes. Elle avait si froid, si peur. Elle était perdue. Elle courut encore et encore avec l'impression horrible et vertigineuse de tourner en rond. N'était-ce pas des bruits sourds, des hurlements de loups, des monstres et des fantômes qu'elle entendait, qu'elle voyait ? L’air se fit plus oppressant, la forêt l'étouffait.
À bout de souffle, elle s'écroula au pied d'un arbre. Son tronc était si énorme qu'il offrait une petite cavité. Elle se blottit dans cet abri de fortune. En pleurs, transie de froid, Poupinette sur son cœur. Elle resta là longtemps. La tempête ne cessait pas. Ses pieds et ses mains étaient engourdis, son visage était gelé. Elle arrivait à peine à bouger les lèvres. Sa respiration se fit plus saccadée et ralentie.
— J'ai tellement froid, j'ai tellement faim. Je veux rentrer chez moi. Je veux juste rentrer chez moi.
Son désespoir la noyait. Soudain elle sentit une légère chaleur derrière son dos, là contre le tronc. Une chaleur réconfortante. Des feuilles se mirent à tomber autour d'elle, sur elle, formant une épaisse couverture. Anaëlle contempla ce phénomène étrange avec des yeux ronds. Les feuilles la réchauffèrent complètement.
— Poupinette, c'est magique !
Il lui sembla voir un sourire sur le visage en tissu rose de sa poupée. Des pommes se mirent alors à tomber juste à ses côtés. Anaëlle croqua dans l'une d'elles, se délectant de la saveur sucrée. Soudain une voix douce, mais rocailleuse retentit et la fit sursauter.
— Anaëlle, mes feuilles t'ont-elles réchauffée, mes fruits t'ont-ils rassasiée ?
La petite fille se leva et regarda vers le haut de l'arbre.
— Est-ce que c'est toi qui parles ? lui demanda-t-elle.
— Oui chère enfant.
— Je te remercie vraiment pour la couverture et les pommes. Est-ce que tous les arbres parlent comme toi ou es-tu magique ?
L'arbre émit un rire sonore.
— Ce n'est pas de la magie. Tous les arbres sont pareils à moi. Mais il faut un cœur pur pour nous entendre. Il faut savoir distinguer la beauté dans l'obscurité.
— Ma maman me l'a dit. Mais elle n'est plus là, dit Anaëlle tristement.
— Je sais. Veux-tu rester avec moi ? Ici tu ne seras plus jamais seule.
— Mais je vais avoir froid.
— Non, je prendrais soin de toi. Et toi de moi.
— Je ne comprends pas.
L'arbre s'illumina de mille petites lumières qui volèrent autour de lui puis entourèrent Anaëlle. Elles se rassemblèrent en une forme humaine. Une femme à la robe d'or, aux longs cheveux roux et à la peau brune. Ses yeux étincelaient telles deux émeraudes. Derrière elle, une paire d'ailes violettes scintillait. Anaëlle était subjuguée par tant de beauté, de magie.
Sans un mot, la fée lui tendit la main. La petite fille hésita puis la saisit. La chaleur qui en émanait fit disparaitre toute trace d'appréhension. Elle s'avança vers elle et se réfugia au creux de ses bras. La lumière l'enveloppa. Anaëlle se sentit soulevée dans les airs. La fée avait disparu, mais elle ressentait sa présence au plus profond d'elle. Elle continua de s'élever jusqu'à voir la forêt dans son ensemble. Un océan de neige parsemé de vert. Soudain, elle se mit à tourbillonner, doucement. Elle ouvrit ses bras, leva la tête vers le ciel. Les flocons l'accompagnaient dans cette ronde. Elle se sentait si bien. Libre. Heureuse. Alors, ses haillons se transformèrent en une robe de lumière, des ailes transparentes, fines et étincelantes parèrent son dos.
Anaëlle redescendit au sol, faisant battre ses ailes de façon maladroite. Elle s'aperçut qu'elle était devenue minuscule. Elle se posa sur une des racines de l'arbre. La fée l'attendait avec un doux sourire. Elle lui fit signe de la suivre. La cavité où elle avait trouvé refuge était en réalité un passage. D'autres fées, perchées sur les racines intérieures, l'observaient avec bienveillance. Anaëlle avançait, fascinée par ce Nouveau Monde. Mais elle savait désormais qu'elle ne serait plus seule à présent.
Le passage déboucha sur une vaste étendue verdoyante. Des fleurs s'épanouissaient, rouges, jaunes, roses, violettes et tant d'autres couleurs encore. Le soleil brillait haut dans un ciel sans nuages. Des oiseaux chantaient de belles mélodies. Des fées voletaient partout répandant dans leur sillage une odeur sucrée. La fée se tourna vers Anaëlle.
— Bienvenue chez toi mon enfant. Je suis Mélusine, la reine des fées. Ici, nous veillons sur les forêts et ses habitants. Voici Oriane, elle te guidera.
Oriane, une fée brune au teint rose dotée d’ailes turquoise et transparentes, l’embrassa sur la joue. Son visage avait un air familier. Anaëlle l’observa un long moment puis elle s’écria :
— Poupinette ! C’est toi ?
Oriane hocha la tête. Anaëlle se jeta dans ses bras et se tourna vers la reine.
— Merci, Madame, vous êtes si bonne avec moi, dit Anaëlle timidement.
Mélusine éclata d’un rire cristallin.
— Tu peux m’appeler par mon prénom. Je dois partir maintenant. Mais avant j’ai un présent pour toi.
Elle tendit une main et une orange apparut. Un sentiment de joie explosa dans le cœur d’Anaëlle, des larmes de pur bonheur jaillirent.
Le jour de Noël, un bûcheron arpentait la forêt à la recherche d’un arbre à abattre. Sa femme et ses cinq enfants préparaient un délicieux repas et il lui tardait de rentrer les retrouver. Son regard fut attiré par une forme blottie au creux d’un arbre. Il s’approcha et son cœur s’arrêta lorsqu’il découvrit l’enfant, un sourire éblouissant figé pour l’éternité sur son visage glacé.
Il souleva le petit corps et le ramena au village auprès du médecin qui s’en occuperait.
Plus tard, lorsqu’il s’assit à table, entouré de sa famille, il eut une pensée pour elle. Alors, il alluma une bougie et il vit briller dans la flamme le visage rayonnant de la fillette.