Lorsque le Lutin en chef pénétra dans le bureau, ce fut pour y trouver le Père Noël triste, dans un état second. Le large homme, lunettes tombant sur le nez, fixait attentivement une boule à neige donc les derniers flocons dansaient timidement. Il n'accorda qu'une attention minime à son bras droit, les yeux rivés sur l'objet.
— Dois-je en conclure que l'entretien s'est mal passé ? fit le Lutin.
— Un entretien ? Un interrogatoire, ouais, tonna le Père Noël. Tu connais Julian. Elle ne m'a rien laissé passer. Je sais que je l'ai un peu cherché, mais tout de même...
— Vous n'avez donc pas regardé les holochaînes ni les journaux ?
— Non. Pourquoi ça ?
Le Lutin en chef eut un sourire malicieux. Il posa sur le bureau une épaisse enveloppe en kraft.
— Ce sont des extraits de témoignage, d'entretiens holo, de votre... interrogatoire, et de notes. C'est un peu confus. Mais vous saisirez. Et il y a cela aussi.
D'un geste gracieux, le Lutin glissa un journal devant le Père Noël. Lorsque ce dernier lut la une, il s'esclaffa.
— Je vous laisse feuilleter tout ça, conclut le bras droit avant de sortir de la pièce.
Bouchra Sedouane-Durand (secrétaire principale du Bureau des Contes et Légendes) :
— Installez-vous sur cette chaise. Je peux vous apporter quelque chose à boire ?
— Un café si possible.
— Du sucre ?
— Jamais.
— Parfait. Vous n'aurez qu'à lancer la commande vocale. Au vu de votre niveau d'accréditation, certains passages seront censurés. Vous nous en voyez désolés.
— Aucun problème. Je suis habitué. Il y a beaucoup d'informations sensibles ?
— Vous savez de qui il s'agit. Donc oui, vous allez entendre beaucoup de bips aigus. Navrée. Je vais vous chercher le café. Vous pouvez enlever votre veste, l'entretien est long. Très long.
— Entendu.
Nicolash d'Avigny (témoin oculaire) :
— Quel journal vous dites ?
— Les Mondes.
— Vache ! C'est prestigieux dites donc.
Nicolash se recoiffe subitement et se tient le plus droit possible. Je lui fais comprendre que ce n'est pas filmé, mais il garde sa posture et redresse le menton.
— Ben qu'est-ce que vous voulez que j'dise ?
— Ce que vous avez vu. Vous avez été approché par un agent du BCL et par la police n'est-ce pas ? Ils vous ont donné l'autorisation pour un témoignage, me semble-t-il.
— Z'êtes bigrement renseigné mon gars. Ouais, je peux causer. En fait, j'ai pas tilté au début. Je l'ai juste vu pisser contre un arbre, euh pardon, pisser je peux dire ?
— Je changerai quelques termes si vous n'y voyez pas d'inconvénient.
— Je comprends, je comprends. Bref, je l'ai vu pisser. Lui. Au début j'ai pas fait gaffe hein, mais y a un truc qui clochait, c'était pas un simple ivrogne comme je le croyais au départ. On reconnaît facilement ses collègues, pas vrai ?
— Donc il urinait contre un arbre et puis ?
— Uriner, c'est ça. C'est mieux que pisser, pas vrai ? Et puis, et puis ben forcément, avec le cul et la bite à l'air, pardon, le fessier et le pénis, ben la police l'a accosté direct. Un gars et une nana. Eux non plus n'ont pas compris, il leur a fallu quelques secondes avant de réaliser. Il les a insultés, mais alors de tous les noms. Fils de pute, pelles à merde, sacs à foutre, un sacré poète en fin de compte. Les flics, ils ont halluciné, mais ils l'ont embarqué tout de même.
— Il s'est débattu ?
— Pas trop. Vous voulez que je vous dise ? Il voulait se faire chopper. Enfin, ce n'est que mon avis.
Je remercie Nicolash et le laisse sur le trottoir. Avant de se rasseoir sur son tas de cartons, il me salue de la main.
Bouchra Sedouane-Durand (secrétaire principale du Bureau des Contes et Légendes) :
— Voilà pour le café. Désolée, je ne savais pas s'il vous le fallait allongé ou pas.
— Ça sera très bien comme ça. Dites, vous avez assisté à l'entretien ?
— Une partie seulement.
— Rien à dire sur ce sujet ?
Bouchra fait non de la tête.
— Confidentiel.
— Comment vous l'avez trouvé ?
— Mal en point.
— Il vous a parlé ?
— Confidentiel.
— Je vois. Je vais m'y mettre. Merci pour le café.
Bouchra quitte la pièce alors que je lance l'enregistrement de l'entretien. Il est conduit par la Vice Présidente du Bureau, Julian Katerson-Kobayashi en personne.
Pascal Gomez (policier, présent lors de l'arrestation) :
— Je suis navré, je ne peux pas vous en dire plus. Ordres d'en haut.
— Je vois. Qui puis-je contacter pour plus de renseignements ?
— Armand Agostini.
— Vous plaisantez ?
— Non.
— L'affaire est remontée aussi loin que ça ?
— Je suis navré, je ne peux pas vous en dire plus.
Notes personnelles: L'officier de police, Mr. Gomez, m'a redirigé vers A. Agostini. L'affaire a été saisie par le district de Paris, donc toute la Nouvelle Europe est impliquée. Tenter de contacter Agostini dans la soirée.
Plume Galilée (policière, présente lors de l'arrestation) :
— Qu'est-ce que je peux dire au fond ? Oui, je suis choquée. Croyez-moi, ça nous a fait mal au cœur de l'embarquer comme ça dans le speeder. J'ai bien senti qu'il y avait beaucoup de détresse derrière cette agressivité. Beaucoup. Et merde, qu'est-ce que je raconte à mes enfants en rentrant le soir ? Coucou mes chéris, aujourd'hui maman a arrêté le Père Noël ?
Extrait de l'interrogatoire mené par J. K. Kobayashi :
JKK : Mais enfin, qu'est-ce qui vous a pris ? Heureusement que la patrouille qui passait par là par hasard a vite réagi, sinon...
PN : Par hasard, hein ?
Le ton du Père Noël est très ironique.
JKK : Vous sous-entendez que nous vous surveillions ?
PN : Je l'affirme Julian. Après tout ce n'est pas la première fois, n'est-ce pas ?
JKK : Effectivement. Nous avons /censuré/
Le Père Noël ricane.
PN : Ouais, quelle merde. Désolé Julian, je sais que c'est pas marrant pour toi.
JKK : Vous me devez des explications, je crois.
PN : Il semblerait.
Extrait d'une publicité de l'agence de voyages Space-X :
Promotion exclusive sur les billets en partance pour Mars ! 50% sur le troisième ticket d'un même groupe. Entre amis ou en famille, c'est maintenant ! Si vous avez une carte de fidélité, vos points seront doublés !
Entretien holophonique avec A. Agostini (Commissaire du District de Paris – Nouvelle Europe) :
— Cela m'épate que vous ayez réussi à obtenir mon numéro. J'admire l'audace jeune homme.
— Pour être tout à fait honnête monsieur Agostini, je l'ai depuis deux ans. Vous me l'aviez donné après les attentats de New Delhi.
— Voilà pourquoi votre nom me disait quelque chose. Que puis-je pour vous ?
— Pour un article dans Les Mondes. Vous auriez quelques infos sur l'arrestation du Père Noël ?
Armand Agostini soupire.
— La presse est déjà au courant n'est-ce pas ? Bon sang que vous êtes rapides. Foutus journalistes. Excusez-moi.
— Je comprends. Je suis juste curieux de savoir pourquoi c'est remonté jusqu'au District de Paris.
— Mais enfin, on parle du Père Noël ! C'est remonté jusqu'aux Districts de Saint-Pétersbourg et de Mumbai ! Vous allez voir que dans pas longtemps, Riyad et Gao vont se réveiller aussi.
— Même avec les conglomérats musulmans ?
— Tout le monde fête Noël. Tout le monde, vous comprenez ? Même les Districts où l'on trouve les derniers groupes religieux.
— Et du côté du District de Rio ?
— L'Outre Atlantique est trop gangrené par la guerre pour en avoir quelque chose à foutre. Pour le moment.
— Osaka ?
— Silence radio. Peut-être que l'info ne leur est pas encore parvenue. Allez savoir.
— C'est donc Paris qui va gérer l'affaire ?
— On est en pleine discussion avec Saint-Pétersbourg et Mumbai. Pour voir si toute la Nouvelle Europe s'en charge ou si c'est juste nous.
— C'est un beau merdier.
— Oui. D'ici peu, le reste du monde va braquer ses projecteurs sur nos tronches. Va falloir qu'on maîtrise le sujet sans que l'Empereur ne s'en mêle.
— Sa Sainteté Elon N.T. Musk Junior VII ? Je ne vois pas le rapport.
— Il touche des royalties sur la fête de Noël. Beaucoup de royalties.
Extrait de l'interrogatoire mené par J. K. Kobayashi :
PN : Je démissionne Julian. J'en ai ma claque.
JKK : Vous savez bien que ça n'est pas possible.
PN : Ouais. Ben je m'en branle. Je démissionne.
Notes personnelles: Effectivement, Saint-Pétersbourg et Mumbai ont été saisies. Et Agostini est visionnaire. Ça bouge du côté de Riyad. Même le Royaume Afrikaan s'intéresse à l'affaire.
Extrait de l'interrogatoire mené par J. K. Kobayashi :
PN : Sérieusement Julian ? Vénus? Merde à la fin ! Tu vois pas que ça n'est pas gérable ?
JKK : Ce n'est qu'un projet. Qui ne serait possible que vers /censuré/
PN : Mais même ! Tu crois que je m'en sors comment avec la Terre, la Lune et Mars? Tu imagines la chierie logistique que c'est ?
JKK : Pourtant Sa Sainteté...
PN : Qu'il aille se /censuré/
JKK : Votre nouveau traîneau est à la pointe de la technologie. Vos usines sont automatisées. Vos rennes...
PN: Ce ne sont pas des rênes, putain. C'est tellement génétiquement modifié qu'on peut plus appeler ça des rennes.
JKK : Ce que j'essaie de vous dire, c'est que Sa Sainteté, ainsi que ce Bureau, sont extrêmement impliqués dans votre travail. Vous comptez pour nous.
Le Père Noël éclate de rire.
Statistiques janvier-décembre 2457. Enfants sages : 64,2% - Enfants au comportement jugé tolérable : 14,7% - Enfants au comportement non tolérable : 18,6% - Enfants irrécupérables : 2,5%.
Extrait de l'interrogatoire mené par J. K. Kobayashi :
PN: J'ai vu Sweeney sortir de ton bureau tout à l'heure. Il faisait la gueule.
JKK : Triste histoire. Les Leprechauns sont définitivement tombés dans l'oubli. Il n'y a plus une seule pièce dans leur chaudron.
PN : Et maintenant, qu'est-ce qui va lui arriver ?
JKK : /censuré/
PN : Merde.
JKK : Exactement. Écoutez, tous les jours, des légendes meurent. Très peu naissent. Vous êtes encore la seule qui tienne vraiment bien le coup.
PN : Les cloches de Pâques ?
JKK : Vous connaissez encore beaucoup de monde qui a un jardin ?
Entretien holophonique avec A. Agostini ( Commissaire du District de Paris – Nouvelle Europe) :
— Monsieur Agostini, si je ne dis pas de bêtises, Noël est une fête religieuse avant tout, non ?
— Vous devriez faire attention à ce sujet, jeune homme. Si l'Empereur vous entendait, croyez-moi qu'il n'apprécierait pas. Noël, maintenant, c'est une consécration lucrative absolue. Rien de plus. Elon N.T. Musk Junior VII met tout en vigueur pour que tout se passe du mieux possible. Tout à son honneur.
Phrase curieuse, Agostini n'est pas du genre lèche-cul. Ligne sur écoute ? Il poursuit.
— Les revenus générés sont injectés dans la recherche et au nouveau trajet spatial. Sa nouvelle lubie, si j'ose dire.
— Je vois. Donc si vous pensez que les Districts de Riyad et de Gao vont se mêler de l'affaire, c'est parce qu'ils ont de grosses parts pour le projet Vénus, n'est-ce pas ?
— Je ne répondrai pas à cette question.
Extrait de l'interrogatoire mené par J. K. Kobayashi :
JKK : J'ai l'impression que nous sommes dans une impasse. N'y a-t-il rien que nous puissions faire pour trouver un terrain d'entente ?
PN : Non, c'est bon comme ça Julian. J'en ai assez donné. L'humanité grandit trop, et trop vite, je peux plus suivre. Je veux plus. Et puis les chiffres, merde...
JKK : Les chiffres ?
PN : Cette année les enfants pas sages...
JKK : Le terme correct est irrécupérable.
PN : Je m'en branle. C'était quoi le taux ? 3% ?
JKK : 2,5.
PN : Non, mais tu te rends compte ? C'est rien ! Avec ces nouvelles catégories à la mord-moi-le-noeud, je m'y retrouve encore moins ! On serait sur un 50/50, ça nous laisserait souffler un peu. Mais là, il faut quasiment tous les gâter !
JKK : Les comportements non tolérables sont quand même bien moins récompensés.
PN: Mais ils le sont quand même.
JKK : Selon vous, il faudrait durcir les conditions ?
PN : Selon moi, il faudrait que je démissionne.
JKK : Nous tournons en rond.
Long silence.
Notes personnelles : Aucune réaction du District d'Osaka. L'alliance Chine-Australie avait ouvertement refusé de participer au projet Vénus. Je dois l'avoir en plein dans le mille quant à l'implication de Riyad.
Chantal Adrianédavorelogesho (témoin oculaire) :
— J'ai caché les yeux de ma petite fille. Je ne voulais pas qu'elle le voit. Rendez-vous compte : le Père Noël, dans cet état. Quelle honte. Par Sa Sainteté, j'espère qu'il va retrouver le droit chemin. Ma petite fille n'a rien vu, heureusement. Quelle misère, tout de même. Quelle misère. Les policiers ont été très bien, très professionnels. Pourtant, il leur a dit beaucoup de méchancetés. Mais j'avais déjà une main sur les yeux de ma petite fille, je n'ai pas pu lui boucher les oreilles. Pauvre chérie, déjà qu'elle n'a plus son papa, elle n'a pas besoin de voir une de ses idoles s'écrouler comme ça.
— Je comprends madame, moi aussi j'ai perdu des gens très chers.
Elle a un sourire compatissant. Je lui serre la main et la quitte. Il me faut un café.
Extrait de l'interrogatoire mené par J. K. Kobayashi :
PN : Et je pourrais pas avoir le même traitement que pour Sweeney ? Le Leprechaun ?
JKK : Un /censuré/ ? Vous n'y pensez pas !
PN : J'y pense, Julian.
JKK : La Mère Noël devrait avoir son mot à dire quant à la question, non ?
PN : Parce que tu crois qu'il y a encore quelque /censuré/ ?
Nouveau long silence.
JKK : Il va nous falloir trouver un compromis.
PN : Et la petite souris au fait ?
JKK : Quoi la petite souris ?
PN : /censuré/
JKK : Comme pour Sweeney oui. Nous n'avons plus de monnaie physique depuis deux siècles. Je pensais que vous vous seriez rendu compte de sa disparition plus tôt.
PN : Celle de la monnaie ou de la petite souris ?
2nd Entretien holophonique avec A. Agostini ( Commissaire du District de Paris – Nouvelle Europe) :
— Hier, Rio, avec l'aide du Canada, a réussi à prendre les deux Dakota. En une journée. On pense par chez nous que le Minnesota et le Wisconsin vont tomber d'ici la fin de la semaine. Dans quelques mois, il ne restera plus que le bastion New-New-Yorkais pour rappeler l'existence des États-Unis.
— C'est terrifiant, mais pourquoi vous me dites cela, monsieur Agostini ?
— Parce qu'hier également, le District de Rio a contacté Paris. Ils proposent de ralentir leur effort de guerre pour nous prêter main-forte dans la gestion de la crise.
— C'est une crise maintenant ?
— C'est une crise. Curieusement, peu de journaux couvrent l'événement. Vous êtes celui qui a poussé le plus loin.
— Je ne suis pas sûr de comprendre. C'est une menace ?
— Une mise en garde. Tous les Districts vont se tourner vers votre journal, vers votre article. Vers votre personne. Le Premier Ministre Rajesh a déjà exprimé son mécontentement quant à l'irresponsabilité de la presse. Vous savez comment Mumbai gère son mécontentement ?
— J'ai une vague idée sur la question.
— Vous croyez qu'il y a beaucoup de journalistes sur ce District?
— Je vois.
— Si je vous dis ça, c'est que je me suis rappelé de vous lors des attentats de New Delhi. Vous avez fait bien plus que votre travail. Vous avez aidé, distribué à manger, participé au nettoyage... J'ai apprécié. C'est ma façon de vous remercier, je suppose. Faites attention à vous. Essayez de ne pas trop contrarier Sa Sainteté. Elon N.T. Musk Junior VII va bientôt faire une annonce par rapport à la situation.
— C'est ce que je me disais. J'ai eu accès à l'interrogatoire de Julian Katerson-Kobayashi, mais le compromis proposé par le Père Noël est censuré. Vous en savez quelque chose ?
— Je ne peux pas répondre à cette question.
Communiqué Officiel du Haut-Siège de la Nouvelle Europe : Sa Sainteté l'Empereur Elon N.T. Musk Junior VII annonce la signature d'un partenariat entre l'état-usine Amazon™ et le Père Noël. Ce dernier s'exprimera à 17 heures, heure Parisienne, sur toutes les holochaînes agréées. Restez à l'écoute !
Notes personnelles : La fin de l'entretien entre Julian Katerson Kobayashi et le Père Noël n'est qu'une série de bips sans fin. Plus rien à en tirer. Mais avec tous les grognements poussés par le bonhomme, je me doute que l'arrangement ne lui convient pas outre mesure.
Entretien holophonique avec J. K. Kobayashi (Vice-Présidente du Bureau des Contes et Légendes).
— J'espère que l'entretien n'a pas été trop pénible à écouter.
— Je me suis fait aux bips de censure au bout d'un moment.
— Je suis curieuse de savoir ce qui vous en avez déduit. Avec ce que vous a dit Agostini.
— Je me sens étrangement surveillé tout d'un coup.
— Vous l'êtes. Pour votre bien. Maintenant, j'aimerais beaucoup entendre vos conclusions.
— Qu'est-ce que je risque ?
— Le même sort que les journalistes de Mumbai.
— Il n'y a pas de journalistes dans ce District.
— Exactement. Donc ?
J'espère qu'elle n'entend pas mon long soupir de frustration. Je me lance.
— Je dirais que Sa Sainteté compte énormément sur les répercussions financières de Noël pour l'avancement du projet Vénus et que donc un Père Noël délétère est hors de question.
— Conclusion facile.
— Je dirais aussi que Sa Sainteté n'aimerait pas que l'on découvre l'accord officieux entre les Districts de Riyad et de Gao, investisseurs du projet également. Quand on voit les guerres anti-religieuses que mène Elon N.T. Musk Junior VII, je ne suis pas sûr que sa crédibilité tienne le coup si le grand public apprend qu'il travaille main dans la main avec les conglomérats musulmans.
— C'est déjà plus intéressant. Bien entendu, cela n’apparaîtra pas dans votre article.
— Je dirais de plus que le Père Noël est à bout et qu'il veut partir. Vous avez beau censurer ce que vous réservez aux légendes disparues, tout le monde le sait. Mais il n'a pas obtenu ce qu'il désirait. Et je conclurais par le fait que désormais la fête de Noël est la propriété de l'état-usine Amazon™ et que le Père Noël n'en sera que la façade. La gestion lui en a été retirée, il devra se contenter d'apparitions en public de temps à autre. Je suppose que ça aussi, ça ne doit pas apparaître dans l'article.
— Vous supposez bien.
— Donc je dois juste écrire qu'un individu s'est fait passer pour le Père Noël et a essayé de ternir son image ?
— C'est une bonne piste. Moins vous en mettrez, plus vous gagnerez.
— Si je puis me permettre, Mme Katerson Kobayashi, où est l'éthique dans tout ça ?
— L'éthique ? N'est-ce pas une légende morte depuis longtemps ? Votre article sort ce soir, juste après l'annonce du Père Noël. Nous sommes d'accord ?
— Ai-je le choix ?
— Bien sûr. Gardez juste à l'esprit que la capacité du BCL à enterrer les affaires est hors-norme et que pour ce qui est de faire disparaître des gens, nous sommes aussi experts en la matière.
Fin de la conversation.
— Et tu dis qu'on ne retrouve pas le journaliste ?
Le Lutin en chef haussa les épaules et observa la silhouette massive du Père Noël avachi sur son bureau.
— Non, finit-il par dire. Une source proche du BCL m'a dit qu'il avait été envoyé sur le District de Mumbai. Apparemment, il serait originaire de cette région.
— Mouais, grogna le Père Noël. Autant te dire que c'est pas aujourd'hui que je vais le remercier. Tu sais pourquoi il a fait ça ?
Le Lutin eut une expression de crainte. Il fit trois fois le tour du bureau, vérifia chaque coin, chaque dessous de table, s'assura que la porte était bien fermée à clef.
— Mais enfin qu'est-ce que tu fous ?
— J'ai eu un message d'Armand Agostini. Confidentiel.
— Ah ? Et donc ?
— Eh bien, fit le Lutin sur ton tremblant, vous vous rappelez des attentats de New Delhi ?
— On oublie pas ce genre d'événement, imbécile. 2000 morts sans raison...
— Certes. Il se trouve qu'il y a bien en fait un coupable derrière tout ça. Que le BCL a tout fait pour cacher.
— Sérieux ? Qui ça ?
— La Fédération des Fées.
Le Père Noël ne sut quoi répondre. Il se leva et, penaud, se dirigea vers un placard d'où il extirpa une bouteille de whisky. Il ne s’embarrassa pas d'un verre et but au goulot.
— Pourquoi ?
— Elles étaient sur le point de tomber dans l'oubli et ont cru bon de marquer les mémoires de cette façon.
— Putain... Pour ce que ça a fonctionné...
— Je sais. Sauf que le journaliste avait de la famille à New Delhi. Je vous laisse faire le rapprochement.
— Et tu sais comment il a réussi à publier cet article ?
— Il a envoyé un faux au BCL soumis à approbation et il l'a changé quelques secondes avant la diffusion.
— Julian doit en chier en ce moment.
— Elle a réussi à stopper la diffusion de l'article, mais le mal est fait. L'Empereur a déjà des heures de conférences devant lui, le District d'Osaka vient de se réveiller et Rio commence à s'agiter.
— Tu vas voir qu'après le District de New-New York ils vont venir prendre Paris ces couillons ! Comme quoi... Il suffisait d'un journaliste. J'ai des déclarations à prévoir je suppose ? Allez, dis-moi.
Le Lutin en chef acquiesça. Le Père Noël vida le reste de sa bouteille et la jeta vers la poubelle. Il la manqua de peu, elle explosa en morceaux.