Lecture d'un chapitre
1 « La petite sirène & L'intrépide petit soldat de plomb »
4 « Pour quelques pas de danse »
Publié par Nascana, le samedi 16 février 2013

Dès le jour où Edan l'a aperçue sa vie a changé. Elle marchait d'un pas trainant avec sa corbeille de linge dans les bras, une triste silhouette féminine dont les contours se détachaient dans le jour naissant. Sans savoir pourquoi il ne pouvait détacher son regard, bien qu'elle ne fasse rien d'autre que qu'étendre ses vêtements. Il y avait quelque chose d'irréel dans ce geste anodin.

— Qu'est-ce que tu fixes comme ça ? lui demanda Jois, en s'approchant.

— Qui est-ce ?

L'autre soupira.

— Elle ?! C'est la femme du gouverneur Dorsan.

— Pourquoi fait-elle sa lessive ? Elle n'a pas de domestique ?

— Je t'en pose des questions moi ?! Un conseil : occupe-toi de tes affaires et arrête de la regarder comme ça.

— Pourquoi ?

— Le gouverneur est quelqu'un de très possessif dirons-nous, il ne supporte pas que quiconque s'approche d'elle.

Edan regarda à regret disparaître la femme dans son habitation.

— Comment tu le sais ?

— Je le sais c'est tout ! Tu as encore combien d'années a tirer ?! Peu alors fais-toi oublier !

Jois se détourna et repartit se concentrer sur ses tâches quotidiennes. Le jeune homme jugea qu'il était temps pour lui d'en faire de même.

En un sens, il savait que son compagnon avait raison. Il lui restait peu à rembourser, bientôt Edan aurait enfin réussi à éponger les dettes de son père. Il n'y avait plus qu'à espérer qu'il n'en aurait pas fait de nouvelle dans l'intervalle. La dernière fois, c'était jugé le jeune homme : la dernière fois qu'il faisait ce genre de chose.

Il avait eu la chance de se retrouver dans un endroit calme, où n'avait qu'à garder un poste frontière et le maintenir en l'état. Rien de très excitant mais cela lui convenait. Il ne rêvait pas d'aventure, juste de s'en sortir et d'aider sa famille.

Son esprit retourna vers l'apparition. Si elle n'avait pas de domestiques, elle devait être la seule femme dans ce poste frontière. Il était facile de comprendre que le gouverneur devait avoir peur pour elle. Pourtant à la réflexion quel homme oserait braver sa colère. D'un mot, il pouvait les envoyer directement sur le champ de bataille. Cela ferait réfléchir n'importe qui.

La femme avait l'air si triste, elle devait sûrement s'ennuyer, ici. Seule avec un mari souvent absent. Pourquoi le gouverneur restait-il en ce lieu ? Il aurait sûrement pu obtenir un poste ailleurs.

— Arrête de rêvasser et dépêches-toi ! lui cria Jois. On a un bâtiment à construire.

Edan saisit une pelle et le suivit sans un mot.

***

Encore une journée à tourner en rond. Solyne termina rapidement de ranger la maison. Rien n'était jamais vraiment sale puisqu'elle était là tous les jours à refaire les mêmes gestes : la force de l'habitude. Une fois tout en ordre, la jeune femme s'allongeait dans le lit, et écoutait de la musique tout en somnolant. Parfois quand elle se sentait plus en forme, elle dansait.

Solyne sait qu'il lui faudrait bientôt préparer le repas. Un jour comme un autre, dans ce lieu loin de tout. Il lui avait promis des voyages. Elle se retrouvait perdue ici, avec pour seule compagne la solitude. Quelle erreur, elle avait fait en acceptant de l'épouser. Alors que ses yeux contemplaient le ciel, la jeune femme regrettait le temps où elle était libre. Le temps où elle avait encore des rêves.

A regret, ses jambes fines prirent la direction de la cuisine. Préparer le repas aurait au moins le mérite de l'occuper un tant soit peu.

***

Il pleuvait. Edan s'en souvenait, les gouttes s'étaient mise à tomber rapide passant de fine à plus en plus conséquente. Tout le monde en avait profité pour prendre une pause bien méritée, même s'ils savaient que si cela durait, ils seraient obligé de se remettre au travail. Le jeune homme en avait profité pour retourner à son baraquement, quitte à être mouillé.

C'était là, qu'il l'avait vu. Mince dans une robe prêt du corps, noire, elle s'acharnait à récupérer ses draps avant que la pluie ne les est totalement humidifiée. N'écoutant que son coeur, Edan était venu l'aider. Se saisissant du linge, il le plia en vitesse de sorte qu'il tienne dans le panier.

Tout se passa sans un mot. Il prit les devants pour ne pas la laisser porter son chargement et l'accompagna jusqu'à la porte, avant de déposer la corbeille en sécurité à l'intérieur de la maison. Ensuite seulement, il osa la regarder.

Un visage harmonieux, encadré de cheveux blond clair coiffés en chignon serré, néanmoins quelques mèches s'échappaient rappelant que leur propriétaire avait dû se presser. Ses yeux noisette légèrement en amande lui donnaient un style étrange qui ne faisait qu'accentuer la première impression.

— Merci, déclara-t-elle soudain, une petite voix.

— De rien, c'était naturel.

Edan se sentit gêné. Il ne savait pas vraiment quoi dire. Il se tenait devant elle, sans avoir conscience de l'eau qui ruisselait sur ses vêtements. La jeune femme ne disait rien, attendant sans doute qu'il fasse un mouvement.

— Vous allez prendre froid, lui fit-elle remarquer. Il vaudrait mieux que vous retourniez vous abriter...

Sa voix se cassa comme si elle avait l'impression d'avoir commis un impaire.

— Je ne peux pas vous laisser entrer, reprit-elle.

— Je comprends, déclara Edan.

Elle devait sûrement avoir peur de se retrouver seule avec lui. C'était normal, elle ne le connaissait pas après tout.

— Ravis d'avoir pu vous aider. Et d'avoir fait votre connaissance, ajouta-t-il.

Alors qu'il tournait les talons, elle le rappela.

— Attendez ! Je ne connais même pas votre nom !

— Edan.

— Solyne.

— Ravis de vous connaître Solyne.

Elle hocha la tête.

— Rentrez maintenant, murmura-t-elle.

Il suivit son conseil. En poussant la porte de son habitation, il était trempé de la tête aux pieds. La journée ne s'annonçait pas comme la meilleure mais elle lui avait au moins apporté son lot de surprise.

Il ouvrit un tiroir et fouilla dans ses affaires pour en sortir deux petits cachets blanc et lisse. Le jeune homme les avala en espérant que cela suffirait, en sachant qu'il ne pourrait pas faire autrement. Cela fait, il partit retrouver son équipe.

***

Le soleil était revenu aussi vite que la pluie s'était arrêté. Le temps était toujours changeant dans cette région. Un instant, il faisait beau, le suivant, on aurait pu voir tomber de la neige. Solyne regardait les rayons perçaient les nuages pour atteindre les flaques d'eau boueuse. Elle aimait particulièrement lorsque le beau temps revenait. Sans savoir pourquoi cela lui mettait du baume au cœur.

Un coup d'œil à l'horloge lui apprit que l'après-midi ne faisait que commencer. Emeric ne serait pas de retour tout de suite. Un sourire se dessina sur son visage. Aujourd'hui, elle avait envie de penser au passé.

Ouvrant son armoire, la jeune femme sorti ses vêtements oubliés depuis trop longtemps. Elle les enfila avec délice, se sentant presque renaitre. Avant... Quand elle se sentait encore vivante...

Mais que faisait-elle là ? Une question qui revenait souvent. Mais au moins, elle se trouvait en sécurité, avec un toit sur la tête et le ventre plein. Si jamais on lui avait dit qu'elle finirait ainsi, elle aurait ri. Autrefois, la jeune femme se sentait libre. Aujourd'hui, il ne lui restait que des bribes, des instants qu'elle pouvait revivre, mais qui ne seraient plus jamais d'actualité.

Solyne étira son corps délicatement, retrouvant les gestes qui au fur des années, c'était fait automatisme. Ses muscles qui avaient perdu l'habitude de ces efforts protestèrent mais finirent par lui obéir.

Lançant la musique, la jeune femme se laissa porter par le rythme et entra dans une sorte de transe. Elle n'avait pas à réfléchir, juste à laisser son corps agir de lui-même, retrouver des mouvements qu'elle affectionnait. Les yeux fermés, elle dansait : s'oubliant et oubliant le temps qui passait.

Ignorant les yeux qui l'observaient par la fenêtre de sa chambre. Ne pouvant penser que quelqu'un viendrait à passer à ce moment-là et se perdre dans la contemplation de sa danse comme s'il s'agissait d'une représentation privée et qu'il en était l'unique spectateur.

Edan, car c'était lui, avait entrepris de remplir sa brouette de sable lorsque des gestes devant la fenêtre avaient retenu son attention. Il reconnut sans mal Solyne. Sans vraiment savoir pourquoi il s'approcha pour la fixer. La femme l'attirait plus qu'il ne voulait réellement l'avouer. Ce n'était ni le moment, ni l'endroit pour éprouver ce genre de sentiment. Encore moins, lorsqu'il s'agissait de la femme du gouverneur.

« Tu rêves trop, Edan, voilà ton problème » lui répétait sans cesse sa mère. Peut-être avait-elle raison mais lui voulait se convaincre que c'était la détresse de la jeune femme qui l'attirait et non, sa beauté voilée.

Au bout de quelques pas, il s'arrêta. Jugeant bon de ne pas s'approcher plus. Alors il la regarda.

Elle dansait.

Et lui ne pouvait pas détacher son regard de ce corps mince qui se déhanchait en suivant la mélodie. Ses mouvements gracieux démontraient un art poussé à l'extrême, au fil des temps. De la souplesse dont elle faisait preuve et la délicatesse de chaque geste, tout le ramené à un spectacle majestueux, le genre que lui ne pourrait jamais véritablement voir.

Edan ne pouvait la quitter des yeux, il savait qu'il aurait dû mais comment se détacher de cette représentation féérique ?

Il la trouvait merveilleusement belle. Plus encore que lorsqu'il l'avait vu, précédemment. Il sentit une chaleur envahir son corps. La jeune femme n'avait plus rien à voir avec celle au visage cerné et aux yeux rougis.

Elle était...

Magnifique, il n'y avait pas d'autres mots.

Vivante... lui souffla son esprit.

Combien de temps la fixa-t-il ainsi ? Il se laissait emporter par le charme incroyable qu'elle pouvait dégager.

Il fallut que l'un de ses coéquipiers vienne le chercher pour qu'il se rappelle la raison de sa présence. Alors même qu'il s'activait pour rattraper son retard, l'image de la ballerine se grava dans son esprit. Tout le restant de la journée, il n'avait de cesse de revenir à cet instant bénit où il lui avait été donné de contempler l'élégance d'un art qui ne l'avait jamais réellement intéressé.

Les jours qui suivirent, il en fut de même. Il ne parvenait pas à chasser cette image de son esprit. Elle l'accompagnait où qu'il aille, merveilleuse compagne qui le rendait heureux malgré l'adversité.

***

Plongée dans sa transe réparatrice, Solyne n'entendit pas Emeric revenir. Elle se sentait tellement bien, tellement mieux que les jours précédents. C'était comme si soudain sa vie reprenait un sens qu'elle avait perdu depuis longtemps.

— Est-ce que je peux savoir ce que tu fais ?!

L'équilibre fut brusquement rompu par cette voix grave qui transperça le doux cocon de souvenir qu'elle s'était formée. Prise de court, la jeune femme bascula avant de réussir à se reprendre.

D'un geste, elle éteignit la musique, mettant fin à l'atmosphère merveilleuse qu'elle avait créee. Ne sachant que répondre tant l'évidence était perceptible, elle décida d'attendre.

— Tu n'as vraiment que ça à faire ?!

Toujours le même regard courroucé, les sourcils broussailleux froncés sur des yeux noirs qui n'admettait aucune protestation.

Large d'épaules avec un corps musclé qui impressionnait encore malgré son âge, le visage carré rasé de près et le cheveux ras, tout en Emeric était un exemple même de sévérité. La fantaisie n'avait pas de place dans sa vie. A tel point que parfois, la jeune femme se demandait ce qu'il pouvait lui trouver.

— Désolée, murmura-t-elle.

— Tu te rends comptes que la porte n'est même pas fermé !

— Pourtant je croyais...

— Il y a une différence entre ce que tu crois et ce qui est ! Combien de fois, je t'ai dit de fermer cette porte à clé. Ce n'est quand même pas difficile !

— Excuse-moi...

Mais il ne l'écoutait même pas.

— Tu sais où nous sommes ?! C'est risquée pour toi, je te rappelle que nous vivons au milieu de criminels ! Des hommes sans foi, ni loi !

Elle hocha la tête, attendant la fin.

— Bref... Enfile des vêtements convenables, ensuite nous passerons à table.

Il quitta la pièce. Avec lui, c'était toujours pareil, on devait se plier à ses directives, il organisait tout.

Tout en se rafraichissant le visage, Solyne repensa à l'homme qui l'avait été aidé : Edan. Etait-il véritablement un criminel ? Elle n'en avait pas l'impression. Beaucoup des hommes que l'on trouvait sur le chantier étaient présent à cause des dettes qu'ils n'arrivaient plus à rembourser.

L'arrangement était ainsi : travailler à la construction d'une nouvelle ville sur l'emplacement du poste frontière, pour faire venir des colons. Le nombre d'années était déterminé par l'importance de la somme dû.

La guerre avait mis l'économie du pays à plat. La famille de Solyne en avait souffert au même titre que les autres. Heureusement pour eux, c'était du passé. Mais à quel prix...

La jeune femme retourna dans la cuisine.

— Alors qu'as-tu préparé, aujourd'hui ?

Toujours les mêmes réactions. Du moment que l'on faisait ce qu'il voulait Emeric n'était que gentillesse, mais dès lors que l'on ne suivait pas ses revendications, il pouvait se montrer méchant voir même violent. Pour cette raison, Solyne ne discutait plus avec lui.

Elle se contentait de l'écouter et de faire ce qu'il voulait. Cela valait mieux pour elle.

***

Devant sa feuille de papier, Edan hésitait. Il ne savait pas comment présenter les choses sans avoir l'air idiot. Il lui fallait utiliser les bons mots pour réussir à exprimer ce qu'il ressentait. Ce n'était pas forcément simple lorsqu'on était quelqu'un d'assez réservé.

— Qu'est que tu fais avec ton bout de papier depuis une demi-heure ? lui demanda un de ses voisins de table.

— J'écris une lettre, répondit Edan de manière évasive.

— Ça n'a pas l'air d'être une réussite. Te prend pas la tête et note juste ce qui te passe par la tête !

— Et si c'est pas organisé ?

— Tu veux organiser quoi ? reprit un autre. On va pas dire que notre vie est tellement passionnante, au point que tu ne sais pas comment la raconter.

— C'est pas ça... Mais... Non rien...

Le jeune homme passa une main dans ses cheveux. Ceux-ci devenaient vraiment trop longs.

— C'est sûr que si t'écris de la même façon que tu parles, ils vont rien comprendre.

La déclaration eut le mérite de faire rire tout le monde. Énervé, Edan rangea le panier et le crayon. Il n'arriverait pas à se concentrer, avec tout ce bruit autour de lui.

— C'est déjà terminé ?!

— Je verrais plus tard...

Le jeune homme se leva avant de retourner à son baraquement. Il avait besoin de prendre l'air.

Depuis qu'il avait vu Solyne dansait, son esprit n'avait de cesse d'y revenir. Il y pensait sans arrêt, se réveillant même la nuit, avec l'impression de l'avoir approché plus qu'il était convenable. Son corps croyait encore se souvenir de la douceur de sa peau.

Il devenait fou. Sa folie le poussait même à braver les convenances. Qu'importe la suite, il fallait qu'il le dise avant de faire quelque chose de stupide. Les risques, il les connaissaient mieux que quiconque. Avec de la chance, il s'était vu arriver sur un chantier de construction, plutôt que dans les mines ou pire d'être intégré à l'armée.

Pourquoi alors ne pouvait-il rester calme ? Se faire oublier, pour le temps qu'il lui restait. Il ne partait déjà pas gagnant alors pourquoi provoquer le destin.

Une douleur sourde lui remonta le long de la jambe comme pour lui faire renoncer à ses projets qui ne le mèneraient à rien de bien. En boitant, il rejoignit l'habitation. Le temps changeant ne faisait que réveiller la vieille douleur. S'il survivait ici, le pourrait-il dans un contexte plus difficile ? Il peinait déjà à cacher sa boiterie, devant rester sur ses gardes à chaque instant.

Pourquoi voulait-il écrire cette lettre déjà ? Pour une femme à qui il n'avait parlé qu'une fois et qu'il s'amusait à espionner ?

— Pauvre fou, murmura-t-il pour lui-même.

Il avait parfaitement conscience de ce qu'il était mais continuait à s'entêter. Juste pour la revoir danser...

***

Par une journée semblable aux autres, Solyne trouva une lettre accrochée à l'un de ses volets. Au début, elle crut qu'il s'agissait d'un pli pour son mari. Mais avec du recul, elle pensait à présent que le papier s'adressait à elle.

Hésitante sur la conduite à tenir, elle le posa sur la table, pour réfléchir. Elle pouvait l'ouvrir et lire ce qu'il contenait ou alors s'en débarrasser. Sa curiosité était grande, cependant elle redoutait ce qu'elle pourrait découvrir.

N'y tenant plus, la jeune femme se saisit du message et le lu.

« Très cher Solyne,

C'est le coeur fébrile que je vous écris ce mot. Peut-être ne le lirez-vous même pas malgré cela je dois vous exprimer mes sentiments. Depuis l'instant où je vous ai vus danser, je suis tombé sous votre charme. Aussi idiot que cela puisse être, je suis heureux dès qu'il m'est donné la chance de vous apercevoir.

J'aimerais vous connaître, même si je sais que cela m'est impossible. Je ne sais qu'un prisonnier pour dettes et vous la femme du gouverneur : nous n'avons rien à faire ensemble.

A l'avenir, je ne vous importunerai plus. J'avais juste besoin de vous écrire ce mot quel qu'en soient les conséquence. Je suis maintenant en paix avec moi-même.

Je ne signe pas car je sais que vous saisirez sans mal qui est l'auteur de ce message ».

Longtemps, elle lut et relut le petit mot. Ce n'était pas possible... Quel homme normal allait s'enticher d'elle en sachant qu'elle était une femme mariée.

Un sourire se peignit sur son visage, Solyne aurait dû être en colère, se sentir offensée. Après tout comment un prisonnier pouvait-il s'enticher d'elle ? Étrangement, elle se sentait plutôt heureuse : elle pouvait encore plaire aux hommes. Elle n'était pas que la femme d'Emeric, une créature insipide forgée par un esprit intransigeant pour son seul plaisir.

Malheureusement, il ne fallait pas que son époux tombe sur cette lettre. Si jamais il la lisait... Elle n'osait imaginer quelle serait sa réaction. Elle la cacherait, même si elle savait pertinemment qu'il aurait mieux valu qu'elle le détruise.

Edan car c'était lui l'auteur, la jeune femme en avait la certitude. Il était le seul à qui elle avait avoué son prénom, sans trop savoir pourquoi d'ailleurs. Serrant le morceau de papier comme s'il s'agissait de la dernière chose qui pouvait la garder en vie, elle gagna sa chambre.

Par la fenêtre, le chantier se dessinait au loin. Elle espérait presque le voir mais cela aurait été trop beau. Tout ne pouvait pas arriver dans la même journée.

Elle finirait par le revoir. Lorsque ce moment arriverait, elle lui parlerait. Elle le remercierait de l'avoir aidé à revivre, ne serait-ce qu'un court instant.

A présent, Solyne devait se concentrer sur ses tâches journalières. Il ne fallait absolument pas qu'Emeric se rend compte qu'un changement chez elle. Si cela venait à arriver, elle le payerait cher.

Un dernier regard vers le ciel, lui donna envie de faire une lessive. Après tout pourquoi ne pas profitait de la clémence du temps ? Et puis cela ne pourrait que lui rappeler de bons souvenirs. Elle en avait eu si peu dans sa vie, depuis son mariage.

***

Lorsqu'Edan vit la jeune femme délaisser son linge pour venir vers lui, quelques jours plus tard, il se demanda s'il devait s'en réjouir ou s'en inquiéter. Il n'était même pas sûr de savoir ce qu'il voulait. Parfois il s'inquiétait d'avoir écrit cette lettre, d'autres fois, il se sentait soulagé.

Tentant vainement de faire comme s'il n'avait pas vu, le jeune homme voulut remplier la brouette mais ne réussit qu'a se verser du sable sur les chaussures. Il étouffa un juron avant de secouer les pieds. Niveau discrétion, il se posait là.

A regret, son regard se tourna vers Solyne qui gravissait la pente pour le rejoindre. Des tas de pensées contradictoires traversèrent son esprit : devait-il prendre la parole ? Si oui, que dire ? Il devait trouver une phrase intelligente et vite.

Elle se planta devant lui paraissant elle aussi chercher ses mots. Au moins, il n'y avait pas de colère sur son visage.

— Bonjour, finit par dire Edan.

— Bonjour, lui répondit-elle.

A nouveau le silence se fit. Relevant la tête, elle plongea son regard dans le sien.

— J'ai bien reçu votre lettre, commença-t-elle. Car c'est bien vous qui en êtes l'auteur ?

D'un hochement de tête, il lui fit signe de continuer, cherchant toujours quoi dire.

— Pourquoi me l'envoyer ?

— Parce que je ne pouvais pas me taire.

— Malgré les risques ? J'aurais pu en parler à mon mari...

— Mais vous ne l'avez pas fait.

— Vous ne pouviez pas le savoir, avant.

Elle se tut semblant attendre qu'à son tour, il se décide à lui révéler ses secrets.

— Je ne sais quelle folie m'a pris mais je devais le faire. Lorsque je vous ai vus danser... Je ne vous espionnais pas, j'étais juste à cet emplacement même et l'on voit la fenêtre de votre chambre.

Surprise, elle jeta un coup d'oeil en contre-bas. Il ne lui mentait pas. Elle ne s'en était jamais rendu compte. Elle sortait tellement peu souvent que cela ne lui était jamais venue à l'esprit que quelqu'un pouvait voir ce qu'elle faisait dans son logis.

— Nous nous sommes parlé une seule fois, pourquoi cela vous a tant marqué ?

— Ce matin-là, alors que je vous ai aidé pour porter ce panier, vous sembliez tellement triste, tellement absente. Pourtant lorsque je vous ai vus danser, il y avait cette étincelle. La tristesse avait déserté votre corps et je me suis demandé comment cela pouvait-être possible...

Solyne le dévisagea paraissant peser ces mots. Elle se savait triste mais jamais elle n'aurait imaginé que d'autres pouvaient s'en rendre compte. En tout cas, jamais Emeric n'avait fait la moindre remarque. Il était pourtant vrai que la danse, sa passion, l'a métamorphosé complément. Dès que résonnait la musique, dès que son corps se mettait en mouvement, elle se laissait aller et devenait une autre personne. Plus rien ne comptait, ses soucis s'envolaient et elle se laissait bercer par la mélodie.

— Je..., commença-t-elle décontenancée. La danse est ma passion. Cela me permet d'oublier mes soucis. J'aurais voulu être une danseuse professionnelle mais...

— Mais ?

— Je me suis mariée et j'ai renoncé à mes rêves. Il faut savoir grandir.

— Au contraire, les rêves permettent de se surpasser. Même si on y arrive pas, on a au moins la satisfaction d'avoir fait de son mieux...

Solyne baissa la tête fixant le sable, près de ses chaussures.

— Désolé, si je vous ai blessé, je ne voulais pas.

Il posa sa main sur son bras comme pour l'apaiser. Edan se souvint trop tard de sa condition et de celle de la jeune femme.

— C'est tellement vrai... Mais nous ne sommes pas seuls. Il y a la famille et il faut parfois renoncer à ses rêves pour elle.

Le jeune homme s'apprêtait à ajouter quelque chose, lorsqu'une voix retentit. Il se retourna vivement mais il savait pertinemment que la personne devait avoir vu son geste. Le mal était fait et il ne pourrait pas revenir en arrière.

Jois arriva.

— Qu'est-ce que tu fiches ?!

Il s'arrêta en voyant Solyne.

— Est-ce que ça va, mademoiselle ?

D'un coup d'oeil rapide, il foudroya Edan. Le jeune homme savait qu'il le méritait.

— Je posais juste une question, murmura Solyne. Maintenant que j'ai ma réponse, je peux retourner à mes occupations. Merci.

Elle tourna les talons et Edan la fixa alors qu'il s'en retournait lentement dans son monde oublié des rêves.

— Qu'est-ce que tu fous ! lui reprocha Jois.

— T'es pas là pour discuter de un et de deux, c'est toujours la femme du gouverneur. J'ai bien vu qu'elle te plaisait mais...

— N'importe quoi ! s'empourpra le jeune homme.

— Fais pas l'innocent, ça se voit. Et le problème, c'est que si je l'ai vu, je dois pas être le seul. Certains pourraient en parler au gouverneur !

— Pourquoi ?

Jois haussa les épaules en soupirant.

— Pour une remise de peine, tiens ! Maintenant, je te le dis une dernière fois, reste loin d'elle ! Je ne pourrais pas te sauver de toi-même mais il ne sera pas dit que je n'aurais pas essayé.

— Merci.

— Maintenant, travaille !

Edan se remit donc rapidement à déverser du sable dans la brouette, moitié pour rattraper son retard, moitié pour noyer sa rage et son impuissance. Les quelques mots que Solyne lui avait adressés tournaient en boucle dans sa mémoire. Renoncer à ses rêves pour sa famille et elle se retrouvait là, isolée et malheureuse avec comme seul contact son mari. Ses pensées se tournèrent vers le gouverneur, un homme rude qui ne passait pas pour un amateur d'art. Un homme beaucoup plus vieux que sa femme, qui ne partageait pas ses goûts.

Énervé devant ce schéma qui ne faisait que générer de la tristesse dans le coeur de la danseuse, il consacra le reste de sa journée à travailler dur. Il força sur son corps et sa jambe comme jamais. Il avait besoin d'avoir mal, de sentir la souffrance dans sa chair pour oublier combien son esprit hurlait de rage d'être incapable de faire la moindre chose pour aider Solyne.

***

Lorsqu'Emeric rentra, Solyne se trouvait à sa place habituelle, en train de faire à manger. La cuisine n'étant pas sa passion, ses débuts s'étaient fait catastrophiques. Son mari le lui avait assez reproché. Depuis, elle avait appris de ses erreurs. Elle arrivait à réaliser des plats à peu près corrects.

— Bonjour, lui dit-elle en souriant.

Quoiqu'il se passe, les choses tournaient toujours mieux si elle souriait et allait dans le sens de son époux.

— Bonjour, répondit-il avec le ton blasé de quelqu'un qui devait sans cesse corriger les erreurs des autres.

Forcément tous ne pouvaient pas toujours lui obéir ce qui provoquait chez lui un courroux mêlé de lassitude. Trop souvent, la jeune femme en avait été témoin.

Sans avoir besoin de s'interroger, elle sut que quelque chose n'allait pas. Il fallait qu'elle aborde le sujet l'air de rien avant qu'il explose en une colère sourde dont elle ferait les frais. Solyne s'approcha, et posa une main qui se voulait apaisante sur son bras.

— Tout va bien ? Tu as l'air fatigué.

— Je le suis. J'ai beaucoup de soucis...

Il s'assit à table, semblant attendre que le repas vienne à lui.

— Qu'est-ce qui y a ? se risqua Solyne.

— Tu sais que je suis au courant de tout ce qui se passe ici ?

La jeune femme ne se laissa pas décontenancer, pas avant de savoir sa connaissance de la situation.

— Bien sûr !

Il soupira.

— Ne tournons pas autour du pot. Est-ce que tu as parlé à un homme aujourd'hui ?!

Le ton s'était fait plus dur en l'espace de quelques instants.

— Oui, reconnu-t-elle.

Après tout cela ne servait à rien de le cacher puisqu'il était déjà au courant. En plus, cela montrait qu'elle n'avait rien à cacher. Il se leva brusquement.

— Tu n'écoutes donc jamais rien ! Je croyais t'avoir dit de ne jamais leur adresser la parole !

Elle leva les mains devant elle, en signe défensif.

— Il m'a parlé et je n'entendais pas. J'ai bien dû m'approcher pour savoir ce qu'il disait.

— Et que disait-il d'intéressant ?!

— Il voulait m'aider pour étendre le linge mais j'ai refusé.

Il y eut un silence qu'il finit par briser.

— Tu as au moins gardé un temps soit peu de jugeote.

Solyne n'ajouta rien mais retourna à sa préparation culinaire. Le dîner serait bientôt près. Il la suivit.

— De toute façon, je me suis occupé de tout. Il ne t'importunera plus.

Elle fit volte-face.

— Comment ça ?!

— Je l'ai fait envoyés ailleurs.

— Mais pourquoi ?

— Pour ta sécurité ! Voyons, tu sembles oublié que tu es ma femme.

Elle baissa la tête. Tout ce qui arrivait été sa faute. Si elle s'était comportée en adulte et pas en enfant capricieuse...

— Tu n'as pas oublié, j'espère ?

— Quoi donc ?

— Que tu es ma femme.

— Pourquoi me demandes-tu ça ? Tu sais bien que je te suis fidèle.

Il ne répondit pas. Semblant attendre pour maximiser son effet. Un creux barrait son front alors qu'il fronçait les sourcils.

— Parfois, je me demande...

— Quoi donc ?

— Si j'ai bien fait. Oui, si j'ai bien fait de t'épouser.

Involontairement, elle frissonna. Cela ne présentait rien de bon.

— Mais pourquoi dis-tu cela ? demanda-t-elle d'une voix peu assurée.

— Attends, tu te souviens. Est-ce que tu te souviens des problèmes que rencontraient ta famille avant mon arrivée ?! Je pensais que tu étais quelqu'un de raisonnable. J'ai accepté de les aider pour te faire plaisir !

— Je sais tout ça. Je t'en suis reconnaissante.

Elle s'efforçait de garder une voix calme face à lui qui s'énervait.

— Je n'en ai pas vraiment l'impression ! Tu me remercies comment ? En ne suivant jamais mes recommandations !

— Je suis désolée. Je m'excuse vraiment.

Mais n'écoutait pas vraiment. Trop concentrer sur ses propres réflexions.

— Tu sais ce que tu serais devenu sans moi. Tu le sais ?!

Emeric agita un index menaçant devant son visage.

— Oui, je sais. Pardon. Je t'en prie, excuse-moi !

— Tu voulais être danseuse ! Tu le serais devenu ! A te trémousser à moitié nue devant des hommes avides de chair fraiche ! C'est ça que tu aurais voulu ?!

Solyne serrait et desserrait ses poings en tentant de se calmer. Il ne fallait pas répondre. Surtout pas répondre, si elle le faisait alors elle lancerait la spirale infernale. Il y aurait la dispute, les objets cassés et peut-être même les coups. Alors elle baissait la tête et encaissait, attendant qu'il finisse par se lasser.

— Comme d'habitude, tu ne penses vraiment à rien ! Il faudra que tu deviennes adulte, un jour ! Je ne serais pas toujours là. Si tu n'es pas capable d'être responsable maintenant alors tu ne le seras jamais !

Il termina son discours sur ce point, avant de disparaître en fulminant. Cependant elle sait qu'il ne faisait que quitter la pièce pour aller s'attabler. Il laissait une Solyne, blessée qui repensait à Edan : à son sourire et ses paroles encourageantes. Qu'avait-elle fait ? Il avait été gentil avec elle, et elle avait fait son malheur. A cause d'elle, il allait se retrouver dans un endroit pire.

La jeune femme n'avait qu'une envie s'effondrer pour pleurer mais c'était impossible. Encore une fois, elle devait faire bonne figure. Elle devait se reprendre et servir le repas. Ses états d'âme passeraient après. C'était devenue une habitude à présent. Jamais, elle ne devait laisser entrevoir quoique ce soit. A la première faille, elle le payerait cher.

***

Edan partit la mort dans l'âme, il avait beau s'y attendre ce n'était pas pour ça qu'il s'en réjouissait. En l'espace d'un instant, il avait tout perdu et pourtant, il n'arrivait pas à regretter. Quelle douce folie, le berçait...

Malgré tout la chance était avec lui. Le jeune homme remercia sa bonne étoile lorsqu'il se retrouva affecté à un poste de bureau, en raison de sa jambe. En effet, les médecins jugèrent qu'Edan ferait courir des risques aux autres et qu'il valait mieux lui trouver une tâche pour laquelle son handicap ne porterait pas préjudice à ses compagnons.

Son temps se divisait entre prises de notes, envoie de lettres, classement et recherche d'informations. Alors qu'il relisait les mots qu'il avait gribouillés sans grande motivation, et qu'il s'efforçait de les taper à la machine pour faire une lettre propre, son esprit allait toujours vers Solyne. Etait-ce cela l'amour ? Une belle ironie...

Si au début, Edan avait pensé la revoir; par la suite, il ne s'imaginait plus que rembourser les dettes pour être libre le plus rapidement possible. Après tout qu'allait-il faire ? Arriver devant sa maison, alors elle sortirait et dirait qu'elle l'avait toujours aimé.

Il rêvait éveillé. Elle avait un mari et certes, elle était triste mais il devait bien y avoir une raison qui faisait qu'elle restait avec. Ce n'était pas ses affaires, il avait déjà fait son possible maintenant, ça ne le regardait plus.

Les jours passaient semblables les uns aux autres. Rien ne les différenciait réellement mis à part, la somme qu'il devait encore. Un jour, cela s'arrêterait et il avait hâte de pouvoir rentrer chez lui. Hâte de se dire qu'il pourrait oublier cette fille.

Malgré ses souhaits, il en fut autrement. Un jour, on lui proposa une mission qui lui permettrait d'éponger les dettes dues. Aussitôt, Edan sauta sur l'occasion. Qui ne l'aurait pas fait à sa place ?

Pouvait-il vraiment savoir en quoi cela consistait ? Lorsqu'il l'apprit, un frisson lui parcourut la colonne vertébrale et il ne sut pas si c'était de peur ou d'excitation, peut-être même un mélange des deux. La tâche qu'on lui confiait n'était pas des plus difficiles, il lui fallait livrer un message. Seulement ce message avait pour destinataire : le gouverneur Dorsan.

Certes, le jeune homme aurait pu simplement refuser mais cela voulait dire continuer à travailler encore plusieurs mois dans cet endroit et surtout c'était aussi faire une croix sur sa dernière chance de revoir Solyne.

Avant même qu'il puisse réfléchir aux bénéfices et aux inconvénients d'une telle expédition, sa bouche venait de donner son consentement.

Ce fut ainsi qu'il partit à cheval pour retourner à son point de départ. L'estomac noué, il espérait que le gouverneur ne le reconnaîtrait pas. Après tout, ils n'étaient que des noms pour lui.

***

Lorsqu'Edan arriva au poste frontière, les maisons avaient poussé depuis son départ. Il apercevait les toits de tuiles rouge sombre qui se démarquait des façades blanchies. Toutes se ressemblaient, chacune étant la copie conforme de l'autre. Les premiers colons pourraient bientôt s'installer dans les habitations neuves. Les ouvriers avaient fait du très bon travail. La nostalgie lui serra le coeur. C'était bête de se dire qu'il aurait aimé être avec ses compagnons.

Ce n'était guère le moment pour penser à cela. Mieux valait se concentrer sa mission et sur la liberté qui l'accompagnait. Edan se surprit à chercher du regard la maison de Solyne. C'était comme s'il s'attendait à la voir étendre son linge mais il n'en était rien.

Alors il intima d'un geste de la main, au cheval de prendre la direction du chantier. La femme du gouverneur vivait sur le chemin qui y menait. Une fois devant, il fit ralentir l'animal. Pour peu, le jeune homme se serait arrêté et aurait été frappé à la porte close. Si seulement, il avait eu un peu d'audace. Juste un peu...

Combien de temps resta-t-il planté ainsi ? Jusqu'à ce que sa monture décide pour lui d'avancer. Celle-ci s'avança et vint brouter les quelques touffes d'herbes qui parsemaient le chemin. Edan eut beau essayer de le faire bouger, l'animal avait pris sa décision : pour lui c'était l'heure du repas et du repos bien mérité. Si l'humain qui trônait sur son dos voulait aller ailleurs, il devrait utiliser ses pieds.

Soupirant, Edan descendit de sa monture et décida de tirer sur la bride pour le faire avancer. D'un coup de tête, le cheval lui fit comprendre qu'il n'était pas dans son intérêt de recommencer. Voulant l'apaiser, le jeune homme lui caressa les flancs.

Son regard alla à la porte au vernis écaillé. Oserait-il s'y présenter ? Mieux s'y présenter en homme libre ou presque libre puisqu'il le serait une fois que la lettre serait dans les mains du gouverneur. Peut-être pourrait-il prétexter apporter cette lettre pour approcher Solyne ?

Son poing cogna contre le bois, avant qu'il ne sache quoi dire. Le battant pivota révélant la jeune femme. Son visage était plus pâle que la dernière fois, ses joues s'étaient creusées et les cernes devenus plus importants mais il la reconnu.

Elle cligna des yeux, surprise. Lui-même attendait bouche ouverte, de savoir enfin quoi dire.

— Vous ?! Ici ! Mais comment ?! Je croyais... Je croyais ne plus jamais vous revoir !

— Moi de même, avoua-t-il.

Solyne ouvrit en grand la porte et se décala pour lui laisser la place d'entrer. Sans penser aux conséquences, il fit un pas à l'intérieur. Plus rien n'avait d'importance à présent qu'il l'avait retrouvé. Pourquoi se sentait-il bien en sa compagnie alors même qu'il ne la connaissait pas réellement ? Un mystère de plus...

— Je vais vous faire à boire. Asseyez-vous.

Sans un mot, il suivit ses consignes et ne la quitta pas du regard alors qu'elle s'activait dans la cuisine pour faire chauffer de l'eau et remplir les tasses.

— Pourquoi êtes-vous revenu ?

— Je suis en mission.

— Ha...

Il y avait une pointe de regret dans sa voix et il la perçu.

— Je l'ai accepté car j'espérais vous revoir.

Un sourire éclaira son visage, lui rendant un peu de ce bonheur qui paraissait l'avoir déserté depuis si longtemps.

Alors ils parlèrent, ils rirent ensemble et oublièrent le temps qui passait. Plus rien ne semblait avoir de prise sur eux. Malheureusement, la réalité reprend souvent ses droits et parfois de manière violente.

Lorsque la porte claqua et que le bruit d'une voix trop connue résonna, Solyne se releva brusquement. La peur se peignit sur son visage. Edan se leva à son tour, prêt à expliquer la raison de sa présence en ces lieux.

On ne lui en laissa pas le temps à peine se plaça-t-il devait l'ouverture, qu'un coup de tonnerre raisonna. Sans vraiment comprendre pourquoi Solyne regarda le jeune homme chuter et s'écroulait sur le sol. Elle poussa un cri de terreur.

Emeric se tenait dans le cadre de la porte, son arme à la main. Son visage n'exprimait rien, rien d'autre qu'un rictus satisfait. Tranquillement, il s'avança et posa le pistolet sur la table, fixa la jeune femme pétrifiée.

— Je t'avais prévenu Solyne. Tu n'écoutes jamais. Jamais... Voilà le résultat !

— Mais tu es fou ! Tu lui as tiré dessus !

Sans lui répondre, il éclata de rire.

— Tu es pitoyable, Solyne. Je n'aurais qu'à dire qu'il a pénétré ici pour s'attaquer à toi et j'aurais gain de cause.

Soudainement, elle fonça vers l'arme et s'en empara avant de la braquer sur son mari. Sans le quitter des yeux, elle s'agenouilla près d'Edan. Le sang qui coulait de sa plaie formait une flaque sur le sol. De ses mains tremblantes, la jeune femme chercha le pouls de son ami sans réellement y arriver.

— Mais qu'est-ce que tu fais ?!

— N'approche pas, lui intima-t-elle.

— Tu veux me tuer ?! Mais va s'y, ne te gêne pas ! Quel dommage seulement que tu ne saches pas tiré. Enfin tu as encore quelques balles...

Une fois encore, il se moquait d'elle. Comme à chaque fois, rien de ce qu'elle faisait n'était sérieux.

— Allons, cesse de faire l'enfant et donne-moi ça.

— Non !

Le cri se répercuta dans toute la pièce.

— Je ne suis pas un enfant !

— Alors va s'y ! Comportes-toi en adulte, tire !

Il y eut un moment de silence. Un moment où ils se contemplèrent les yeux dans les yeux. Sans un mot, elle baissa son arme.

— C'est bien, tu es raisonnable...

Subitement, elle la plaqua contre sa tempe.

— Là, je ne me manquerais pas.

Son doigt actionna la gâchette. Un autre coup de tonnerre déchira le silence.

Son corps bascula sur celui d'Edan. Leurs deux sangs se mêlèrent. A présent, bien embarrassé serait celui qui voudrait les séparer.

  
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