Lecture d'un chapitre
2 « Cendrillon & Hansel et Gretel »
6 « Festin »
Publié par Lutine, le samedi 24 mai 2014

Alors que le soleil venait à peine de se hisser au-dessus des immeubles dévastés, un énorme chat couleur fauve passa par l’une des fenêtres d’un bond souple. Le jeune garçon le regarda humer l’air ; l’animal avait dû sentir l’odeur du maigre repas qui chauffait. Le félin balaya la pièce du regard et finit par poser sur lui deux yeux jaunes luisant dans l’ombre ; il se tapit sur le sol, prêt à bondir. Hansel se tassa sur lui-même, ramenant ses jambes vers lui, et rentra la tête dans les épaules. Le chat commençait à ronronner à l’idée du festin qui l’attendait quand une massue sortit de nulle part s’abattit violemment sur son crâne. Le garçon regarda l’un des yeux sortir de son orbite, fasciné, puis il se leva.

— Joli coup !

— Merci !

Il adressa un grand sourire à sa sœur, Gretel, puis attrapa le morceau de métal coupant qui lui servait de couteau pour commencer à dépecer l’animal.

— On va devoir encore changer de planque. L’odeur du sang va ramener les autres bêtes sauvages et les mutants.

— Oui.

Hansel avait toujours été avare en mots, et ce depuis son plus jeune âge. Pendant longtemps, Gretel avait cru qu’il ne saurait jamais parler, mais comme il semblait la comprendre, elle ne s’en était pas vraiment inquiété. Elle avait tout de même été soulagée quand elle avait découvert qu’il était capable de tenir de courtes conversations.

Gretel regarda patiemment son frère s’affairer, puis elle rassembla le peu d’affaires qu’il possédait. Avec un moment d’hésitation elle observa la petite peluche en forme de lapin rapiécée de toute part, se demandant s’il n’était pas temps de la laisser derrière.

— Garde-le. C’est un souvenir, même si on est grand maintenant.

Hansel avait fini et il venait de rajouter les morceaux de viande dans le récipient où le contenu d’une vieille boîte de cassoulet cuisait. Gretel haussa une épaule et réprima un sourire ; ils n’avaient pas tant grandi que ça, son frère était même plutôt petit pour son âge. Elle fourra finalement la peluche dans son sac. Elle prenait peu de place de toute façon.

— On mange et on s’en va, déclara-t-elle en se servant directement dans le récipient.

La viande n’était pas cuite et résista sous ses dents ; elle s’appliqua à mastiquer pendant un moment, puis finit par l’engloutir tout rond. De toute façon, son ventre finirait bien par la digérer.

— On continue vers le nord ?

— Au nord il y a la mer. C’est ce que disait papa et c’est là qu’on allait avant.

Le garçon hocha la tête. Il était trop jeune quand leurs parents étaient morts pour pouvoir se souvenir, mais Gretel en parlait si bien qu’il avait l’impression de tout savoir sur eux.

Une fois leur maigre repas partagé, ils traînèrent la dépouille jusqu’au fond de la pièce et sortirent par la fenêtre. Gretel jeta un regard plein de regret vers la carcasse à peine entamée. Cela leur aurait fourni de la nourriture pour dix jours au moins, mais c’était trop risqué de transporter de la viande fraîche ; il y avait des créatures bien plus dangereuses que les chats sauvages là, dehors.

Le frère et la sœur marchèrent d’un bon pas toute la journée au milieu des décombres, fouillant les restes abandonnés par les autres survivants. Le soir, ils bivouaquèrent au rez-de-chaussée d’un autre immeuble, dans la loge du concierge, puis ils reprirent la route. Il était rare qu’ils s’installent confortablement plus de quelques jours.

Au troisième jour, alors qu’ils arrivaient dans une banlieue où les bâtiments étaient moins hauts et moins serrés, ils se prirent par la main. Là, au milieu des pavillons et des boutiques, sur les trottoirs de ces larges rues vides de voitures, ils se sentaient plus exposés que jamais.

— Tu es sûre que c’est la bonne route ?

Gretel baissa les yeux et regarda la vieille boussole qu’elle tenait à la main. Depuis toutes ces années, c’était grâce à elle qu’ils s’orientaient ; cela ne faisait cependant que quelques mois qu’ils avaient décidé de se rendre au nord, et l’objet continuait de remplir parfaitement bien son office.

— Oui, regarde l’aiguille…

Hansel jeta un regard à la boussole et hocha la tête.

— On n’a qu’à marcher plus vite pour sortir de là.

— Oui.

Les deux enfants accélérèrent. Il était plus difficile d’amortir correctement le bruit de leurs pas ainsi, mais ils se sentaient rassurés d’apercevoir les hauts immeubles de la ville suivante se rapprocher petit à petit.

Alors qu’ils tournaient à l’angle d’une rue, Gretel sentit une lourde main s’abattre sur son épaule et elle se débattit violemment pour se dégager. Elle vit des doigts griffus passer à quelques centimètres de son visage et hurla.

— Cours Hansel !!

Le garçon ne se fit pas prier deux fois et il se mit à courir comme un dératé à travers les rues. Gretel s’efforça de ne pas le perdre de vue, suivie de près par le mutant. Ce n’était pas la première fois qu’elle en voyait un, mais celui-ci était particulièrement repoussant ; son nez semblait avoir été tranché et son torse était recouvert de cicatrices étranges. Le regard de la jeune fille avait notamment accroché un symbole en forme de lune et elle devinait qu’il s’agissait de l’un des chiens de chasse d’un des gangs de la région. Il n’était pas rare que des hommes et des femmes utilisent la rage des mutants comme arme.

Finalement, Hansel se faufila dans un minuscule conduit et elle se jeta à quatre pattes pour le suivre. La créature resta bloquée à l’entrée, et après avoir essayé de les atteindre pendant de longues minutes, elle s’éloigna en grognant.

— Vite, il va aller en chercher d’autres, avance !

Le frère et la sœur rampèrent le long du conduit et arrivèrent finalement dans le sous-sol de l’un des bâtiments. Ils attendirent un petit moment avant de sortir prudemment par l’une des fenêtres et ils s’enfuirent en courant.

Quand ils s’arrêtèrent enfin, Gretel constata avec horreur qu’elle avait lâché la boussole pendant leur fuite. Hansel s’assit dos à un mur et enfouit son visage dans ses bras alors qu’elle observait le ciel en réfléchissant.

— On dit que le soleil se couche à l’ouest. On est bientôt le soir, donc le nord est par-là.

Le garçon releva la tête et jeta un regard à sa sœur. Cette dernière lui sourit d’un air rassurant.

— On retrouvera une boussole en fouillant. En attendant, viens, il faut continuer à avancer tant qu’il ne fait pas nuit.

Le soir venu, ils arrivèrent à la devanture de ce qui avait autrefois été une boulangerie. Gretel le savait, il fut une époque, alors qu’elle n’était même pas encore née, où l’odeur du pain frais embaumait toutes les rues du monde où il y avait une boulangerie. Elle peinait à s’imaginer la douce odeur qu’on lui avait décrite, et elle ne pensait pas la sentir en vrai un jour ; elle se trompait.

Hansel vint coller son nez à la vitre quand l’odeur leur parvint ; Gretel saliva aussitôt et son estomac se tordit bruyamment. C’était tout simplement exquis, bien loin des odeurs de pourriture ou de moisis des aliments qu’ils consommaient pour survivre.

Alors que son frère allait poser une main sur la poignée de la porte, Gretel vit du mouvement à l’intérieur et elle l’attrapa par l’épaule pour le tirer en arrière.

— Attend Gretel, c’est une princesse !

— Les princesses ça n’existe pas !

— Mais elle ressemble aux princesses des histoires que tu me racontes !

La jeune fille prit une grande inspiration et l’odeur sucrée lui monta à la tête, effaçant toute trace de méfiance. Et puis, c’était vrai, la femme dans la boulangerie ressemblait à une princesse, avec ses longs cheveux blonds si bien peignés et son visage blanc tout propre. Même ses vêtements, bien que recousus à divers endroits, n’étaient presque pas sales — Gretel était même sûre qu’ils sentaient bon eux aussi.

Alors qu’ils étaient coincés entre l’envie de fuir et l’envie de rester, la femme s’approcha et ouvrit la porte.

— Et bien les enfants ? Que faites-vous là tout seul ?

Elle observa les alentours d’un air méfiant et Gretel comprit qu’elle suspectait un piège.

— Nous ne voyageons que tous les deux. On ne fait pas confiance aux adultes et les autres enfants ne veulent pas venir avec nous.

Hansel hocha la tête pour confirmer mes dires.

— Et où vous rendez-vous donc ?

— Au nord, à la mer.

— La mer n’est qu’à deux jours de marche, mais la route est très dangereuse. Les mutants sont nombreux dans les parages, entrez prendre un peu de repos pour la nuit. J’ai un matelas et des couvertures pour vous.

Le frère et la sœur échangèrent un regard hésitant. Ils avaient pour règle de ne jamais faire confiance à personne d’autre qu’à eux-mêmes, mais ils n’avaient pas encore cessé de croire qu’il pouvait y avoir des gens biens quelque part. Et Gretel avait envie de croire cette femme.

— D’accord, dit simplement Hansel après que sa sœur eût hoché brièvement la tête.

La femme sourit et s’écarta pour les laisser entrer. Gretel sentit le sang battre à ses tempes quand elle entendit dans son dos une clé tourner dans la serrure, mais elle se raisonna : c’était normal de s’enfermer pour empêcher les intrus et les monstres d’entrer. Hansel dut se sentit mal-à-l’aise également car il l’attrapa par la manche.

Les enfants dormirent pour la première fois depuis longtemps sur les deux oreilles, l’estomac bien rebondi grâce au repas sucré que leur avait préparé la femme. Quand ils se réveillèrent le lendemain, Gretel s’étira de tout son long, prête à affronter une longue journée de marche.

Hansel voulut se lever à son tour, en vain : son petit poignet était retenu grâce à une chaîne de menottes au lourd radiateur en fer à côté duquel ils avaient dormi. Gretel tira de toute ses forces, essaya de briser l’une des chaînes avec son couteau, chercha quelque chose pour forcer la serrure… Mais rien n’y fit.

— Ne t’agite pas comme ça ma chérie. Ça rend la viande nerveuse.

La jeune fille se retourna en sursautant. La femme venait d’entrer dans la pièce et Gretel fut saisie par son changement de physionomie. Elle avait attaché ses longs cheveux en un chignon serré et toute trace de gentillesse avait disparu de son visage.

— Quel portrait touchant… Profitez bien de vos derniers instants, ce soir, je dînerai de vos tripes et de vos chairs !

Sur ces mots, elle jeta à leur pied un petit sac de nourriture et sortit de la pièce.

Hansel agrippa fermement le bras de Gretel et commença à pleurer, paniqué. Sa sœur lui caressa doucement les cheveux en s’efforçant de le rassurer.

— Tout ira bien Hansel. Je vais nous sortir de là.

La jeune fille serra son frère dans ses bras en essayant de ne pas céder à la panique elle aussi. Ils avaient déjà traversé bien des épreuves, ils pouvaient survivre à celle-ci également. Elle avait la journée pour trouver comment.

Malheureusement, le temps sembla juger qu’il était plus amusant de s’accélérer et le soir arriva bien trop vite. Ils n’avaient pas touché à la nourriture que la femme leur avait laissée, craignant qu’elle soit pleine de somnifères, mais ils l’avaient dissimulée sous les tas de couvertures de l’autre côté de la pièce et ils attendaient assis côte à côte. Hansel avait la tête posée sur l’épaule de Gretel, et cette dernière regardait par la fenêtre d’un air éteint. Elle n’avait pas eu d’idée formidable, mais elle espérer pouvoir trouver une faille à l’improviste.

Lorsque la femme entra de nouveau, elle jeta un coup d’œil au sac de victuailles puis aux deux enfants et sourit d’un air satisfait. Gretel s’efforça de garder une expression neutre, mais une lueur d’espoir lui réchauffa le ventre. Ils avaient un léger avantage si elle était persuadée qu’ils étaient drogués.

— Debout ma grande, dit-elle en s’approchant d’eux. Je peux porter ton frère mais pas toi.

En mimant des gestes engourdis et lentes, Gretel se leva et regarda la femme détacher la menotte qui retenait le poignet de son frère. Elle hésita à attaquer tout de suite, mais elle doutait de prendre l’avantage. Hansel n’ouvrit même pas les yeux quand la femme le souleva aussi facilement qu’un sac de plumes.

— Suis-moi.

Ils descendirent tous ensemble au rez-de-chaussée, dans l’arrière-boutique, et Gretel sentit la chaleur de l’immense four à pain lui brûler le visage. La femme s’approcha de la grande porte avec Hansel dans les bras et Gretel fit mine de faire tomber tout un ensemble de piques à viande et de fourchettes par accident. Hansel profita de la diversion pour sauter des bras de la femme et Gretel la poussa de toutes ses forces dans le four. Les enfants conjuguèrent leurs efforts pour en refermer la porte, et ils attendirent que les hurlements de douleur cessent pour la rouvrir.

Hansel attrapa l’un des piques sans dire un mot et essaya de ramener le corps brûlé de la femme vers eux. Gretel, comprenant où il voulait en venir, s’efforça de l’aider, et finalement, la carcasse fumante tomba au sol.

— On part quand ?

— Demain matin… Mange Hansel, la mer n’est plus très loin.

Le frère et la sœur se sourirent puis attrapèrent chacun une fourchette.

  
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