Le blog de l'histoire
Ce texte devait être publié dans le mois suivant le 16 novembre, date de l'anniversaire de Rag. Mais bien entendu, j'ai lambiné plus que de raison, puis il y a eu les "fins du monde" auxquelles j'ai donné la priorité.


A noter que c'est aujourd'hui l'anniversaire théorique de Josse, mais il a eu les honneurs du texte d'Halloween ! ^^ C'est donc celui-ci qui tiendra lieu de cadeau, à moins que je ne trouve une idée de génie !

Le personnage de "Drak" a déjà fait un micro-apparition dans le chapitre 2.04, "Garde à vue". Nous le reverrons !


PREMIERS PAS



L'inquiétude était un sentiment irrationnel. Elle ne changeait rien à sa situation, elle contribuait juste à le rendre moins performant, avec ces symptômes de stress qui s’emparaient douloureusement de son appareil digestif et respiratoire.

« Je n'ai pas d'autre ennemi à craindre que la peur. »

Qui avait écrit cette phrase ? Il dut forcer sa mémoire, habituellement si docile… Elle lui livra finalement la réponse. Frédéric-Lawrence Knowles, le poète américain de la seconde moitié du XIXe siècle…

Et c'était vrai. Il n’avait aucun ennemi à craindre : ce qu’il ressentait n’était que la manifestation d’un réflexe physiologique archaïque, destiné à optimiser le corps pour la fuite en cas de danger. Mais il n’était pas un animal. Il était un être doué de contrôle et de raison.

Certes, dans ses exercices d'entraînement, le Centre de Formation veillait à placer régulièrement ses pensionnaires dans des situations imprévues, afin de tester leur capacité à innover, mais aucun n'avaient jamais impliqué ce niveau de complexité. Le déluge d'informations qui déferlait sur lui menaçait de le submerger ; il se voyait contraint à une vigilance de tous les instants pour parvenir à filtrer et gérer tous les éléments transmis par ses sens.

Un mélange assourdissant de sons, d'odeurs, d'images, de sensations... Mais cela, il pouvait encore le supporter. Le plus difficile pour lui était de décoder les réactions des humains face à lui. Le personnel du Centre montrait une attitude calme et rationnelle, usait d'un langage précis et mesuré. Rien dans son attitude – ou si peu – n'était inattendu ni inexplicable. Mais les gens auxquels il se trouvait confronté depuis qu'on l'avait transféré hors des murs sécurisants du Centre représentaient à ses yeux autant d'énigmes. Leurs expressions, leurs paroles, leurs certitudes et leurs hésitations, tous les non-dits qui passaient dans leur regard constituaient un casse-tête qu'il peinait à reconstituer.

L'homme en face de lui, un sous-officier qu’on lui avait présenté comme son futur instructeur, n’échappait pas à la règle. Presque aussi grand que lui mais plus massif, il devait être en milieu de trentaine. L’expression rébarbative sur ses traits rudes était intensifiée par le fait que la partie gauche de son visage, du haut de la joue au bas de la mâchoire, avaient été remplacée par de la chair synthétique. Il se demanda pourquoi il n'avait pas eu recours à la régénération si universellement préférée à ce genre de remplacement prosthétique ; sans doute l'homme avait-il ses raisons, tout à fait logiques dans son propre schéma des choses.

Il se sentait dans une position de terrible insécurité : il était suffisamment lucide pour savoir que tous les humains n’étaient pas forcément bien disposés envers les êtres issus du génie génétiques ; un vieux souvenir d'une perception clanique, une méfiance instinctive face à la différence, surtout quand elle résidait au cœur même de l’identité essentielle logée dans ses chromosomes...

Il se raidit, prêt à affronter le jugement du sous-officier. Quelle que puisse être l'opinion de l'homme au final, l'important était ce qu'il pourrait apprendre de lui, même si les conditions de cet apprentissage s'avéraient difficile...

* * *


Au cours de sa vie mouvementée, Sal Drake avait vécu des moments particulièrement difficiles. Depuis les enfers de feu et de mort, aux crises complexes habitées d'une tension de tous les instants. Mais à présent, il en venait presque à regretter la tension des combats.

Il se revoyait le matin même, dans le bureau du commandant Peter Chen, qui le fixait de son regard d'obsidienne, ses traits asiatiques dénués de toute expression détectable.

« Quel est votre problème, sergent ? »

Drake, « Drak » pour ses « gorilles » des troupes d’intervention, fronça ses sourcils broussailleux et redressa sa puissante carcasse :

« Mon problème... Il est simple : je refuse à me prêter à cette mascarade ! Je veux bien croire que c'est un geste politique d'accueillir ces... ces Anges ou je ne sais quoi, et nous avons déjà pas mal de genhum dans nos troupes... Mais ce gamin... Je sais qu'il est légalement possible d’être émancipé à seize ans pour intégrer l'armée, mais est-ce que vous l'avez seulement vu ? »

Il croisa les bras et fixa le bout de ses bottes :

« Je ne suis pas un baby sitter, Commandant. Et j'ai un sens moral. Je connais mon boulot : j'ai lu le dossier qu'on nous a refilé. Il n'a jamais mis les pieds hors de son centre ! Il n'a jamais circulé seul dans la rue. Il n'est jamais entré dans un magasin. Quand je pense que les pourris des affaires sociales ont pu le flanquer dehors et lui mettre un flingue entre les mains ! »

Drake s'arrêta pour reprendre son souffle, scrutant le visage inexpressif de son supérieur. Il avait confiance en Chen, en son calme, en son humanité, en sa volonté de voir au-delà des apparences. Et il savait que le commandant préférerait toujours le voir partir dans ses élucubrations plutôt ruminer dans son coin.

« Nous avons des genhum parmi nous, mais ils sont toujours arrivé avec une véritable expérience du terrain. Et... ils savent des choses... Ils ont entendu des rumeurs dans leurs propres centres. Ils disent que la section des Humains Artificiellement Procréés nous a pipoté sur la date de développement de la deuxième série des Anges... Archanges, peu importe... Qu’elle est plus récente qu’ils le disent. Et que ça ne risque pas de varier selon les individus, parce qu'ils ne sont pas plus de vingt, développés tous à la fois... ou ving-et-un... même de cela, personne n'en est sûr. Je ne veux même pas penser à ce que ça peut vouloir dire...»

Un nouveau silence, lourd de sens, s'installa dans le bureau austère du commandant. Enfin, Chen déclara :

« J'ai bien compris ce qui vous indisposait dans cette situation, sergent. Maintenant, à votre avis, qu'e devrions-nous faire ? »

Drake croisa les bras :

« Il est hors de question de servir les dessins tordus de toute cette clique politique. Les troupes d'assaut, ce n'est pas une place pour un gamin, genhum ou pas. »

Chen hocha la tête :

« Je reçois bien vos doléances. Mais que se passera-t-il, à votre avis, si je refuse d'intégrer ce jeune homme dans nos troupes ? »

Drake plissa les yeux et gratta machinalement une joue qui ne pouvait plus le démanger depuis bien longtemps.

Des images, plus déplaisantes les unes que les autres, dansèrent bientôt devant ses yeux. Certaines juste désagréables : corps d'armées peu attentifs, planètes dépotoirs, consortiums avides... D’autres, si effrayantes qu’il n’avait pas franchement envie d’y penser. Une chose était sûre : il y avait peu d’endroits où la dignité - voire la sécurité du garçon serait assurées, où il serait respecté aussi pleinement que dans leurs rangs.

Depuis que le commandant Chen avait pris la tête des « Gorilles », les troupes d’assaut de l’ISO intégraient traditionnellement en leurs rangs des humains génétiquement créé, tout autant que des soldats dont le corps avait été modifié par des implants synthétiques, pour pallier une faiblesse de constitution ou à la suite d’une blessure, et dont les autres corps d'armée ne voulaient plus. Le jeune genhum constituerait une bizarrerie de plus ou de moins...

Il se sentait soudain honteux de sa véhémence.

« Eh bien, sergent ? »

Drak grimaça, une vision perturbante pour ceux qui n'étaient pas habitués à son apparence un peu singulière :

« Je pense que vous avez raison, maugréa-t-il.

- Bien, Sergent . »

Un rare sourire étira les lèvres fines du commandant :

« Les principes sont une bonne chose, Sergent, loin de loi l'idée d'affirmer le contraire. Mais il faut rester conscient du fait que, parfois, il est justifié de les mettre de côté au nom d’autres principes plus élevés. »

Le sergent hocha la tête :

« Merci, commandant, je crois que j'ai compris. »

* * *


L'adolescent fixait toujours son futur instructeur, tâchant désespérément de déterminer ce qu'il attendait de lui. Ou ce qu’il n’attendait pas... Dans le silence pesant de la salle d’armes où l’homme l’avait retrouvé, les yeux gris et perçant le détaillaient impitoyablement.

Mais soudain, contre toute attente, le sergent se fendit d'un large sourire, plissant la peau burinée de son visage et le synthéchair sur sa joue gauche.

« Bon, puisqu'il faut bien commencer : tu es là pour apprendre tout ce que tu dois savoir pour survivre dans les troupes d'assaut. Je ne me leurre pas, tu maîtrises sans doute déjà une bonne partie du côté technique et théorique. Nous allons commencer par faire le point sur tes connaissances, et nous pourrons partir de cette base pour commencer à boucher les trous... »

Le garçon sentit un intense soulagement s'emparer de lui, dissipant ses craintes, les plus rationnelles comme les plus vagues ou les plus profondément enfouies. Il y avait désormais des chances, selon toute vraisemblance, que tout se passe bien.
Beatrice Aubeterre   jeudi 3 janvier 2013 à 17h1903.01.2013 à 17h19   0
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Si je devais me définir, je dirais que je suis une touche-à-tout qui n'excelle en rien, mais à qui la ténacité tient lieu de talent. Archiviste ascendant geek, je me disperse dans une pléthore d'activités différentes. En plus de l'écriture, je pratique à titre amateur le chant classique, le dessin, l'infographie, la couture, la construction de miniatures et le jeu de rôle - surtout grandeur nature. Fan de SSSF depuis toujours, j'essaye d'écrire ce que je voudrais lire. J'aime les gentlemen en redingotes, les équipages soudés, les méchas et les choses qui volent (bateaux, villes, anges...) J'adore les univers détaillés, les sagas épiques mais qui laissent aussi la place à la petite histoire !
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Beatrice Aubeterre, 17.09.2019 à 11h37
J'ai enfin épuisé tous les chapitres écrits aux "origines", me voici arrivée sur des passages rédigés plus récemment. Je prends un grand plaisir à corriger ce nouveau chapitre qui met en vedette notre chère Berry, technicienne informatiq...
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