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1 « Une question de sens »
Publié par Beatrice Aubeterre, le samedi 5 novembre 2011

PARADIS XXIV - Et si... #1

UNE QUESTION DE SENS

Sur demande de : KalySo

Personnage : Bérénice Férier

Thème : Avec trois accents

Genre : humour/réflexion

Personnages présents :

Bérénice « Berry » Férier, lieutenant Cidryn « Cid » Carsen, sergent Ramon « Rag » Guttirez.

Résumé :

Ce n'était qu'une erreur de frappe... mais elle n'était pas si anodine !

* * *

Ça n’allait pas.

Pas du tout.

Elle fixa l’écran de son module avec une moue contrariée et fit rouler les deux mots sur sa langue, dans leur version pervertie. Elle détestait le résultat.

« Quelle bande d’imbéciles ! »

Le ton contrarié de la jeune comptech attira l’attention du lieutenant Cidryn Carsen, sa collègue et amie, qui posa sur elle deux prunelles vertes légèrement interrogatrices :

« Je leur avais pourtant dit avec trois accents ! » ragea Berry.

Cid se leva de son fauteuil et se pencha par-dessus l’épaule de la technicienne, examinant le formulaire d’ordre de mission affiché sur l’écran.

« Et alors ? fit-elle d’un ton ennuyé. Il y a bien trois accents… »

Les yeux pâles de Berry se plissèrent de contrariété :

« Tu ne comprends pas. Ce sont des accents graves. Mon prénom et mon nom s’écrivent avec des accents aigus. »

Les sourcils légèrement haussés du lieutenant trahissaient son incompréhension de ce détail subtil.

« Et après ? Ils sont juste… dans l’autre sens. Ce n'est pas si grave… »

Berry prit une longue inspiration et se recula, les bras croisés, pivotant légèrement son siège pour faire face à Cid :

« Bien sûr que si ! rétorqua-t-elle sombrement. Cela ne se prononce pas pareil du tout…

— Elle a raison, Cid, intervint le sergent Ramon Guttirez, depuis l’autre côté de l’allée. L’accentuation change totalement le phonème. Bérénice Férier devient Bèrènice Fèrier… »

Berry enfouit son visage entre ses mains, partagée entre l’horreur d’entendre son nom dans sa version écorchée – même si cela découlait d'un sentiment généreux – et l'amusement suscité par le français d’un académisme chirurgical de Rag. Bien entendu, elle ne pouvait attendre du genhum qu’il parle toutes les langues qu’on lui avait inculquées sous une forme dialectale minoritaire.

Devant l'expression toujours aussi confuse de Cid, Berry secoua légèrement la tête : le lieutenant n’avait décidément aucune oreille. Elle devait chanter aussi faux qu’un régiment de casseroles – d’ailleurs, la simple idée d’entendre l’austère lieutenant chanter avait quelque chose d’amusant. Rag, bien entendu, avait l’oreille absolue… mais prendre le genhum aux yeux dorés comme étalon de quoi que ce soit (hormis les capacités sociales) équivalait à se fixer des objectifs impossibles à atteindre, à moins de maîtriser intégralement son sujet.

Elle repoussa un peu ostensiblement ses cheveux pâles, exhibant la prise de connexion humain/machine implantée derrière son oreille comme une étrange pièce de body art.

« Je vais devoir résoudre ce problème », annonça-t-elle, pragmatique.

Les yeux de Cid s'élargirent :

« Attends... tu ne vas pas faire ça ? fit-elle d'un ton alarmé. Je comprends que ça puisse avoir de l'importance pour toi, mais imagine que tu doives te plonger dans l'altercon pour des besoins... les besoins d'une enquête ? »

Berry apprécia la circonlocution employée par le lieutenant pour éviter de la froisser en invoquant « une raison plus grave ». On pouvait toujours lui faire confiance pour traiter l'amour-propre de ses coéquipiers comme du sucre filé. Cid avait fondamentalement raison : un comptech cybernétisé devait limiter, pour des raisons de prudence, son temps de connexion par ICHM. La fille blonde laissa retomber ses longues mèches en place et croisa les bras en soupirant :

« Je sais que ça paraît puéril, mais ça fait des générations que ma famille défend ces accents ! Enfin, celui de Férier, du moins... »

Rag fit pivoter sa chaise pour faire face à ses deux coéquipières :

« Parce qu'il représente ton héritage franco-canadien ? », demanda-t-il avec intérêt.

Elle adressa un sourire au sergent :

«Il y a de ça, sauf que le Férier est en fait hérité de mon arrière-arrière-grand-père qui a quitté le nord de la France pour s'installer à Hull. Mais le reste de ma famille est pour l'essentiel composé de franco-canadiens, et tous persistent à parler français. C'est la tradition. »

Elle se tourna vers Cid :

« Un peu comme chez toi : je crois que vous employez encore des mots suédois, non ? Tu appelles ton père fader et ta mère moder, même si elle n'est pas suédoise ?

— Ma mère est d'ascendance italienne, mais son nom est en est le seul héritage, répondit pensivement la jeune femme brune. Mon père, par contre, prête une grande importance à ses origines. La culture suédoise reste très présente chez nous...

— Et je suppose qu'il n'apprécierait pas que l'on écrive votre nom Carson au lieu de Carsen ? »

Cid fronça ses fins sourcils sombres, avant d'adresser à Berry un sourire apologétique :

« Je vois ce que tu veux dire. »

Rag était resté muet durant l'échange : Berry se sentit un peu gênée pour lui. Après tout, le jeune homme ne possédait rien qui pouvait ressembler de près ou de loin à une famille. A moins de compter les autres archanges de seconde série, mais cela semblait étrangement inconvenant aux yeux de Berry. Cela dit, elle se demandait parfois si ce nom latino-américain qu'on lui avait attribué ne reflétait pas une certaine réalité. Après tout, il y avait quelque chose d'un peu exotique dans ses traits ciselés et sa peau dorée...

Le silence régnait dans la pièce. Les yeux de ses deux coéquipiers demeuraient posés sur elle, attendant... une résolution, une conclusion ? Au bout d'un moment, Cid se décida à prendre la parole, en étouffant un soupir :

« J'ai bien compris en quoi cela te trouble, Berry. Mais là n'est pas la question. Tu sais qu'il est tout à fait en mon pouvoir de t'interdire de te brancher pour procéder à une correction que tu n'es pas en théorie accréditée à faire ? »

Berry baissa légèrement la tête, gardant un œil sur son amie :

« Mais les choses seraient plus simples. Tu le sais bien... Je branche mon ICHM et je peux corriger cette erreur en quelques minutes, sans laisser de trace... ou quasiment. »

Elle laissa couler un regard suppliant vers le jeune lieutenant, sans insister plus que de mesure. Cid remua sur sa chaise, vaguement gênée.

« Et si tu le fais sans te brancher ? »

Berry garda une expression parfaitement neutre :

« Ça mettra plus de temps. C'est plus risqué au niveau sécurité. Mais je pense pouvoir le faire. »

Cid secoua sa tête brune, une lueur résignée dans ses yeux verts :

« Bien. Disons que je n'ai rien entendu? Rien vu non plus. »

Un large sourire éclaira le visage de la comptech. Elle accrocha le regard amusé de Rag par-dessus l'épaule de Cid, avec l'étrange sentiment que le genhum avait toujours su parfaitement où elle voulait en venir. Certes, Cid, en tant qu'officier en second de l'équipe, avait autorité pour l'empêcher de recourir à ces petits piratages. Mais menacer d'employer son ICHM était le plus sûr moyen de la mener à accepter une intervention plus légère. Elle adressa au sergent un clin d’œil avant d'entreprendre le démontage soigneux des couches de sécurité du service du Personnel.

Pour rectifier ses trois accents.

Deux dans un prénom français qui symbolisait tout un héritage. Un dans un nom qui le portait tout entier. La plupart des gens semblaient croire que parce qu'elle avait accepté qu'on lui implante une interface cybernétique humain/machine, elle était résolument tournée vers l'avenir et reniait forcément le passé. Certes, elle ne se passionnait pas pour l'histoire et la philosophie, comme Rag, mais peut-être qu'elle n'en avait pas besoin, parce que qu'elle connaissait sa propre histoire. Celle de sa famille. Le lien invisible qui unissait les différents membres d'un clan éclaté, recomposé, dispersé. Ses parents, séparés mais bon amis, ses deux demi-frères, ses grands-parents, sa multitude d'oncles, de tantes, de cousins... Berry avait été toute sa vie une nomade en transit entre différents foyers chaleureux et accueillants.

Sa maison n'était pas en un lieu unique, mais s'éparpillait en différents points du Canada – y compris le bureau de la banlieue de Vancouver où elle se trouvait à ce moment, et cela lui convenait parfaitement.

INDEX

Altercon :

État de conscience et de perception modifié d'un comptech équipée d'un ICHM quand il se trouve en phase d'interfaçage avec un espace de communication numérique.

Archanges :

Type de soldats d'élite genhum, considérés comme une réussite ultime de l'optimisation du génome humain.

Comptech :

(familier) Technicien de haut niveau dans le domaine informatique, souvent équipé d'une interface cybernétique humain/machine (ICHM).

Genhum :

(familier) être humain dont le génome a été modifié à des fins utilitaires (non reproductrices ou thérapeutiques). Sont considérés comme genhum les humains génétiquement modifiés, les humains génétiquement construits et les clones.

ICHM :

"Interface cybernétique humain-machine", implant permettant au cerveau d'un comptech de manipuler directement les données informatiques.

Paradis XXIV par Béatrix / Agnès Moinet-Le Menn - [url=http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/2.0/fr/]Licence Creative Common By – NC – ND[/url]

  
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