Pour le festival des vendanges, j'ai le plaisir de répondre à la question suivante :

Y a-t-il des alcools spécifiques à votre univers ? Quels sont-ils ? Quelle est leur place (ou celle de l'alcool en général) dans ces sociétés ?

Si je consulte l'index des mots spécifiques à Tramonde que j'avais commencé à établir, je tombe sur cinq ou six entrées qui ne sont autres... que des noms d'alcool. Guldras, lampen, libran, marden, maudran, arkvit... C'est sans doute le domaine pour lequel j'ai développé le plus de vocabulaire spécifique. 

Les boiseries aux reflets ambrés, le feu flambant dans la cheminée, le marden ancien dans un verre de cristal au bord doré : chaque élément de la pièce se déclinait en teintes chaudes, comme pour repousser la froideur humide de l’extérieur.

Autant dire que les alcools jouent un rôle important dans Le Premier Cercle. Dans les milieux où se déroule l'action du Premier Cercle, la Marine aérienne du royaume de Tramonde, on n'est pas exactement sobre. Leur consommation "sociale" réunit bien souvent les personnages autour d'un verre dont il est agréable de décrire les couleurs, la saveur. Autour d'un verre, il est aisé de faire connaissance, de se confier, de se comprendre...Comme une communion autour d'une saveur d'exception. On peut aussi passer le temps ou songer à ses problèmes.  Par ailleurs, les alcools illustrent bien souvent la convivialité entre ceux qui les consomment, mais aussi un certain goût de l'esthétisme et de la tradition. "Dis-moi ce que tu bois, je te dirai qui tu es !"

Mes personnages évoluent le plus souvent dans l'élite de la société. Même les simples marins de la Flotte aérienne ont accès à de bien meilleurs crus que le peuple : des alcools plutôt fins, comme des vieux Cognac, ou des liqueurs de qualité... Mais dans les ruelles de Tramonde, on consomme aussi quelques tord-boyaux et des bières de qualités variables ! XD

Il jura à mi-voix, portant la choppe à ses lèvres : un breuvage plus fort que la bière, plus corsé que le vin, un maudran ambré qui anesthésiait ses papilles et brûlait sa gorge sans lui vider trop vite la tête.

Les alcools aident aussi, bien sûr, à brosser le tableau du monde où les personnages évoluent. Comme les paysages, le climat, la nourriture, ils établissent une ambiance spécifique, en particulier dans les Marches dardaniennes où se déroule l'action.

« Le vert est l’arkvit, et le brun le lampen. Par lequel souhaitez-vous commencer ?
— Savez-vous lequel des deux a la saveur la plus parfumée et la plus fine ? »
Elle sourit, dévoilant une rangée de petites dents blanches et brillantes :
« Je dirais que c’est le lampen, même si je ne suis pas une grande consommatrice. Il faut garder sa tête quand on travaille ici. »

Je ne cacherai pas non plus que mon héro, Haudran aur'Commara, montre un attrait assez marqué pour ces breuvages. Il semblerait immunisé aux effets de l'ivresse, mais limite malgré tout sa consommation pour éviter d'entrer en discorde avec le médecin du bord. Est-ce que cela a une importance... ?

... peut-être.

Il savait en son for intérieur que ses usages en matière de consommation d’alcool constituaient sans doute la seule ombre à des habitudes personnelles autrement exemplaires… Ou plutôt, cela aurait été le cas s’il avait été capable de ressentir le moindre effet d’ivresse. Ce qui ne lui était jamais arrivé, même quand il avait bu plus qu’il était en théorie raisonnable. Il avait même le sentiment, en pareil cas, d’avoir les idées bien plus claires, impression que réfutait avec véhémence Laurn Geroy qui jugeait ses goûts susceptibles de mettre sa santé en danger dans le long terme.

***

Dans le spin-off, La Nef Blanche, nous entrons dans un autre univers, celui des petits royaumes de l'Est (au début du moins) et des pirates de Tramonde. Les choses y sont forcément un peu moins sages... Tout comme le héro, Herlhand vor'Deiter, jeune noble disgracié qui devient membre d'une confrérie très particulière. Pour ce garçon un peu écorché vif, tout juste sorti d'une jeunesse un peu... festive, l'alcool est bien souvent une fuite et un refuge... avec parfois des conséquences malheureuses. 

Malgré tout, c'est un alcool qui lui offre courage et d'aspiration, quand le destin le trahit, et qui établit l'un des symboles de cette histoire, une certaine fleur rouge. 

Je me décidai enfin à tremper les lèvres dans le breuvage ; je fus surpris par la puissance subtile de ce goût que je ne pouvais, étrangement, rapprocher de rien que je connaissais. Il en allait de même de cette couleur intense, trop pure et profonde, qui m’évoquait les vastes plaines couvertes de fleurs, au commencement de l’été… Je fis légèrement claquer la langue contre mon palais, explorant la saveur insolite.

« Du coquelicot… déclarai-je d’un ton triomphant. C’est de la liqueur de coquelicot !

— Je vous félicite pour votre sagacité ! Puisque cela semble vous plaire, je vous cède bien volontiers ce flacon ! »

L'existence de cette liqueur est d'ailleurs liée à un défi de l'Allée avec des mots imposés (dont baiser et coquelicot). J'en avais tiré un passage du Premier Cercle où Katey, bras droit d'Herlhand/Herezan, consommait son alcool préféré comme un baiser indirect... Comme quoi, l'inspiration peut pendre bien des chemins !

Et en prime... la bouteille de marden dessinée pour Inktober 2018 ! 

Beatrice Aubeterre   mercredi 25 septembre 2019 à 16h4225.09.2019 à 16h42   12