Voici un petit texte rédigé dans le cadre de l'atelier des défis ! Le titre est un peu aléatoire, j'en conviens ; le trône en question est bien sûr le trône princier des Marches océanes, perçu comme une vague survivance du passé...

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La clef tourna en grinçant dans la serrure grippée ; non sans effort, Lahor Gallian, intendant du Prince des Marches Océanes, poussa les lourds battants ferrés puis s'effaça pour inviter son jeune maître à les franchir.

Le jeune homme demeura bouchée bée en découvrant une salle immense, longée par deux rangées de piliers délimitant une large nef centrale. Les murs de pierre grise où scintillaient des parcelles de mica étaient percés de fenêtres hautes et étroites, ornées de vitraux. Les losanges de verre fumé entouraient la représentation d'une couronne, peinte sur la pièce centrale : si elle semblait classique au premier coup d’œil, un examen plus attentif révélait qu'elle se composait d'un entrelacs insolite de vagues, de nuées et de dauphins bondissants. Au fond de la salle, s'élevait un siège massif de bois sombre où courait le même décor aquatique, survolé par la représentation d'une nef archaïque.

Le prince regardait autour de lui avec un étonnement mêlé d’admiration. Il s'approcha des fenêtres et toucha du bout des doigts la représentation sur le vitrail.

« Voilà donc l'ancienne salle du trône ? »

Aussi étrange que cela pouvait paraître, le dernier héritier de la prestigieuse lignée des Argil Aur'Commara, princes héréditaires des Marches Océanes, y pénétrait pour la première fois. A la mort de sa mère, tout jeune encore, il avait été envoyé dans une sévère pension au nord du royaume. Il n'en était sorti que pour intégrer l'Académie de la Marine Aérienne, ne revenant en ses terres que pour de brèves permissions. A seize ans seulement, il était déjà officier, prêt à servir la Couronne avec ferveur.

« Je n'ai pas entendu dire qu'elle avait été désaffectée, objecta Gallian avec bonhomie.

— A présent que les pairs ont délégué l'administration de leur province à la Couronne de Tramonde, a-t-elle encore une utilité? »

L'intendant remonta ses lunettes en soupirant, mais s'obligea à faire preuve de patience : le pauvre garçon n'avait jamais reçu la formation politique qui allait avec son rang.

« Les symboles du pouvoir princier ont encore de la valeur pour les Commariliens, Monseigneur. Ils demeurent nostalgiques de l'époque où le Dauphin était maître en son royaume. »

La jeune homme fronça les sourcils :

« Pensez-vous que mes ancêtres ont eu tort de déléguer la gestion de la province à la Couronne ? »

— Ce n'est pas si simple, Monseigneur. Confier la gestion administrative et économique des Marches Océanes à l'administration royale n'a jamais empêché le Prince de représenter la Province, comme votre grand-père et votre oncle ont su le faire...

— … mais pas mon père », déduit tristement le garçon.

Ses doigts quittèrent le verre gris du vitrail.

« Non, admit Gallian, pas votre père. Mais votre mère avait su gagner l’affection de la population. A présent, les Commariliens se sentent abandonnés. Ils regrettent la période où la province était brillante et puissante ; ils ont le sentiment qu'elle n'est plus que la vache à lait du royaume, qui exploite sans vergogne ses richesses. Au mieux, vos sujets éprouvent du regret. Au pire, ils sont prêt à se battre pour retrouver leur identité, par la force s’il le faut. »

Les yeux du garçon s'élargirent d'étonnement :

« Je n'avais pas idée... souffla-t-il.

— Et vous n'êtes pas à blâmer. Personne n'a pris la peine de vous en informer. »

Le prince baissa la tête, laissant ses longues mèches d'un noir bleuté dissimuler son visage.

« Que me conseillez-vous, maître Gallian » demanda-t-il de sa voix grave et légèrement rauque.

L'intendant sourit, rassuré de le voir, comme toujours, si prompt à accomplir son devoir.

« Soyez présent, autant que votre carrière militaire vous le permettra. Penchez-vous sur l'administration de vos domaines et de vos biens : à travers eux, vous apprendrez de la société et de l'économie des Commarilisses. Montrez-vous au peuple : votre jeunesse, votre fière allure et votre ressemblance avec votre mère ne peut que gagner leur affection. Vous êtes un jeune homme brillant, vous avez le potentiel requis pour devenir le prince qui rétablira la fierté des Marches Océanes.

— Mais... Est-ce que ça ne reviendra pas à... trahir la Couronne ? »

L'intendant ne pouvait reprocher au garçon sa loyauté profonde envers la Couronne, même si cette dernière avait été confiée par les pairs du royaume à une lignée sans envergure.

« Non, Monseigneur, déclara-t-il, tâchant de se montrer aussi convainquant que possible. Ne croyez surtout pas cela... Ne pensez-vous donc pas qu'il est dans l'intérêt de la Couronne que ses provinces soient les mieux gérées possible ? »

L'expression du jeune homme retrouva sa sérénité, ses yeux gris étaient clair et brillants :

« Vous avez raison ! Je vais y réfléchir, maître Gallian. »

L'intendant s'attendait à ce que son jeune maître prenne le chemin de la sortie, mais il se dirigea vers le trône princier qu'il considéra avec une grave attention. L’intendant savait que ce n’était pas le pouvoir qui le motivait, mais la perspective d'une tâche passionnante qui bénéficierai à tous les Commariliens.

Deux jours plus tard, par une grise et froide matinée de pluie, un pli parvint au Palais Princier, annonçant que le royaume de Tramonde avait déclaré la guerre à la Confédération Foromalienne, et enjoignant le jeune militaire de rejoindre au plus vite la capitale en attendant son assignation.

Une fois de plus, la Couronne dépouillait les Marches Océanes de leur bien le plus précieux.